Mort de Louis Fleury – Article de A. H. Fox. Strangways.

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MORT  DE  LOUIS  FLEURY

La mort de Louis Fleury a dû affecter très diversement une grande partie du monde musical, car c’était une « belle personne », et il avait une personnalité à multiples facettes. 

En société, il brillait telle une bougie supplémentaire allumée dans la pièce. Vous n’étiez jamais certain s’il se moquait de son sujet, de vous ou de lui-même. Vous étiez seulement sûr que vous ne vouliez pas qu’il s’arrêtât de parler. Dans la conversation, il laissait aux autres le goût du paradoxe, se souciant seulement de manier alertement le style « frenchy », ce bon sens dont les Anglais raffolent. Il allait droit au coeur de la plaisanterie sous des enveloppes victoriennes et géorgiennes.  Il sentait profondément qu’il fallait être aussi réservé qu’un Britannique pouvait l’être. Il  parlait notre langue avec charme et grâce, avalant peut-être un peu ses mots, mais ne manquant jamais d’exprimer son idée, et souvent en l’éclairant. 

On n’en espérait pas moins lorsque sa plume remplaçait ses paroles.  Allez consulter quelques numéros anciens de cette revue comme celui d’avril 1925 [La Musique pour Deux Flûtes sans Basse] pour son essai d’expert, ainsi que celui d’octobre 1922 [La Flûte et son Pouvoir d’Expression] pour sa ferveur musicale, et enfin celui d’octobre 1924 [À propos du Pierrot Lunaire] pour ses plaisanteries. Dans chaque article, il maitrise  tellement son art qu’il peut se permettre  de ne dire que les choses importantes, sans chichis, et de les laisser pour dites. J’aime tous ses articles – essentiellement parce que je l’entends encore parler [1] – en particulier « La flûte et son pouvoir d’expression ». Je pense qu’il y a peu d’interprètes qui pouvaient comme lui se distancier de son instrument pour en parler avec une telle harmonie de jugement et d’expressivité, et de façon si gracieuse. 

Il jouait aussi bien qu’il parlait et écrivait. Il trouvait sa force dans les limites de la flûte.  L’Art, sous toutes ses formes, ne fait-il rien d’autre que de s’emparer du monde entier afin de le contenir en d’étroites limites? L’Art n’est-il rien de moins que ce qu’Alcuin [2] appelait, une « fenêtre de l’âme » – qu’il dépeigne des anges en lévitation dans l’Adagio de Bach en si mineur [3], des lutins dans L’Après-midi [4] , ou des gargouilles dans Pierrot Lunaire [5] ? Et n’est-ce-pas cette flûte, qui rime presque avec « tukututu», qu’il faut choisir comme instrument propre à prouver au monde que les petites choses peuvent confondre les grandes ?

Il nous a appris que la taille de l’instrument n’est rien comparée à l’aptitude au contexte et à la pertinence de la situation. Qu’il fût un bon interprète parmi tant d’autres ou, comme cela pouvait arriver, le seul bon musicien de la salle, il mettait la musique au premier plan en en tirant le meilleur parti en toute loyauté.

C’était un homme à la fois érudit, artiste et humain. 

A. H. F. S. [6]

Music & letters, 1926, Vol.7 (4), p.394-394

[1]L’auteur fait référence à ses traductions en anglais des articles de Fleury pour Music & Letters.

[2] Alcuin (vers 7035 mai 804) : poète, savant et théologien anglais qui écrivait en langue latine médiévale.

[3] Référence à l’adagio de la Sonate N°1 en si m BWV 1014 pour violon et piano. 

[4] Prélude à l’Apres Midi d’un Faune » de Debussy

[5] De Schönberg 

[6] Arthur Henry Fox Strangways (1859-1948), musicologue, critique musical et traducteur. Il est le fondateur de Music & Letters et restera le chef editorialiste jusqu’en 1937.

Trad:  L.Renon et Marie Gray

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