À Robert Brussel – Juin 1922

De Louis Fleury, Amicale, Brussel | 0 commentaires

[Tampon réception Jeudi 29 Juin 1922]

I Kensington Park Road 

London W

 

Cher Ami, [Robert Brussel]

 

Je reçois – par avion, c’est à dire plus tard vu le mauvais temps – la lettre de Mr. Bouchat (1) et les détails donnés par ma femme sur votre conversation téléphonique. 

Il me semble qu’il y a une complète miscompréhension de ce que doit être le festival de Salzbourg, et de ce que nous pouvons y faire. Voici ce que je puis vous dire.

Ce Festival, qui devait comporter en principe 4 soirées de musique de chambre, a pour but de faire connaitre au public cosmopolite de Salzbourg les Écoles d’extrême avant-garde de toutes les patries représentées. J’ai vu le programme provisoire. L’Angleterre sera représentée par Arthur Bliss et Goossens, l’Italie par Respighi et Malipiero, et ainsi de suite. En principe aussi, la seule oeuvre française inscrite au programme, et qui sera, de toutes façons, exécutée le 7 avril, était la sonate pour instruments à vents de Darius Milhaud. Là-dessus, il n’y a pas à revenir. 

Nous avons été sollicités de prêter notre concours à ce concert. D’accord avec nous, avec Mme de C. T., avec les Affaires Etrangères, j’ai posé comme condition que nous aurions le choix du programme, pour un concert spécial, donné en matinée le lendemain. J’ai vu [Mr]Wellaez à Paris ; nous avons causé, et nous sommes tombés d’accord sur un programme, qui, tout en restant très moderne,  représenterait, à mon avis le plus favorablement possible, l’Ecole Française.

A la requête de Mme de C. T., et aussi parce que cette oeuvre est charmante, éprouvé par plusieurs exécutions en public à Paris, j’ai indiqué la Rhapsodie d’Honegger pour 2 flûtes, clarinette et piano. C’est la seule œuvre du groupe des 6 qui doit être exécutée à ce concert.  

J’ai donné comme autres œuvres :

Le quintette de Magnard (2), pour flûte, hautbois, clarinette, basson et piano

La sonate pour 2 flûtes de Koechlin

Et une page inédite de Debussy pour flûte seule : La Flûte de Pan 

De plus, il y aura probablement à la réception qui précédera le Festival, chez Max Reinhardt, une exécution d’un quatuor de Mozart à laquelle je participerai. 

Si la « Droite » s’émeut de ce programme, c’est à tort, à mon avis. Le morceau capital est le quintette de Magnard qui dure 40 minutes, belle et noble oeuvre de l’artiste qui a eu le prix que vous savez. Je dois dire, à la louange des organisateurs, que l’objection qui aurait pu être faite à ce sujet, et que j’ai devancée en soulignant l’intérêt que j’affectionnais à notre exécution, n’a pas été faite.  

Donc nous avons :

Le 6 août _________

Le 7 août _________

Le 8 août _________

Notre concert :

         Debussy

         Magnard

         Koechlin

         Honneger

Si les différents pays représentés pouvaient donner un programme aussi éclectique que celui-là, il y aurait lieu de les en féliciter. Mais cela ne sera pas. J’ai confiance, et suis sûr que nous ferons ainsi de bonne besogne. 

Il y a, en somme, une affaire Roussel. Mme de C. T. m’a parlé du Divertissement (3) de Roussel. C’est une oeuvre délicieuse , qui dure 6 minutes et qui comporte un cor. Or, par une coïncidence curieuse, il n’y a besoin de cor que dans cette oeuvre. Nous l’avions réservée. Si les souscriptions dépassent le chiffre prévu, et si nous pouvons engager un artiste supplémentaire, rien ne sera plus facile que d’ajouter le Divertissement. 

Je m’attendais, du moment qu’on réunissait un comité, à ce qu’il se produisit des continuums au sujet des noms à inscrire au programme. Je prie instamment les personnes qui s’intéressent à cette manifestation de considérer : 

1° qu’il s’agit d’un Festival d’Avant-Garde. 

2° que c’est la Société Moderne d’Instruments à Vents dont le concours a été requis, et non un quatuor à cordes ou un chanteur.

3° que, malgré mes démarches réitérées, vieilles de 15 ans, auprès de nombreux compositeurs qui ne sont pas des 6, je n’ai jamais pu obtenir qu’ils nous fassent la grâce de nous donner quelque chose. Des 7 musiciens de l’Institut, rien n’existe pour groupement d’Instruments à vent – et pas grand chose en musique de chambre – J’attends encore les oeuvres que m’ont promis Ravel, Paul Dukas, Roger Ducasse, etc, etc. Je dois dire que, tel quel, ce programme proposé me parait excellent. Je ne suis d’ailleurs pas assez désintéressé du succès pour courir au devant d’un échec. 

Je vous demande donc d’user de votre influence auprès des personnes intéressés, pour soutenir ce point de vue qui me parait « right ». C’est d’ailleurs entièrement conforme à la dernière conversation que nous avions eue à ce sujet. Pour vous résumer, je vous rappelle que, sans nous, la France était représentée par le seul Darius Milhaud, interprété par des Autrichiens. Avec nous, et grâce à nous, elle sera représentée par les noms sus-indiqués, interprétés par 6 musiciens français. 

Voilà, cher Ami, excusez ce long palabre. Je suis cloué ici pour environ 12 à 15 jours encore. Sans cela, j’aurais argumenté par la parole. 

 Mille cordiaux souvenirs

Louis Fleury

1 ou Bouchet? (illisible)

Alberic Magnard (1865-1914)

3 Op.6 pour quintette à vents et piano

 

 

Source : Bibliothèque Nationale de France http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb39807892c

 

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