À Robert Brussel – Juillet 1924
[Tampon réception 4 Juillet 1924]
1 Kensington Park Road W. XI
Londres
Cher Ami, [Robert Brussel]
J’ai reçu ce matin cette lettre de Vienne. Je vous la communique parce que « c’est à vous que ce discours s’adresse ». Si vous n’avez pas abandonné toute idée de faire entendre de la musique française cet été Salzbourg, voulez-vous faire le nécessaire ?
J’ai peur que si cela continue la France soit représentée là bas – car elle le sera ! – par des Allemands, des Suisses, des Abyssins et pas par des Français. Mon Dieu on peut discuter sur le choix des œuvres, mais puisque nous avions cette facilité de pouvoir arranger un concert à notre choix, nous aurions pu chercher à obtenir en faveur de la France un succès d’interprétation au Festival. Et un succès de compositions au concert. J’ai fait le possible et l’impossible pour en convaincre tous mes compatriotes et jusqu’ici ça n’a pas l’air de mordre. Mon opinion est suspecte parce que j’ai l’air de beaucoup tenir à aller là-bas. Je ne fais aucune difficulté d’avouer que j’y tenais beaucoup. Après expérience, et malgré les défauts évidents de l’entreprise, j’estime que c’est de beaucoup la plus importante des manifestations internationales de l’année. L’obtention même justifiée par la mauvaise humeur provoquée par ce que vous savez, me parait une faute. Nous faisons le jeu de nos « amis » d’outre-Rhin, d’outre-Jura et de beaucoup d’autres « outres ». En ce qui concerne les Instruments à Vent, qui si on m’avait suivi seraient allé là-bas non pas jouer seulement l’oeuvre de Stravinsky mais d’autres oeuvres que nous aurions pu choisir, notre élimination sera une magnifique victoire pour les concurrents de l’Est qui vont aller là bas et qui ne sont pas très friands de compétition, si j’en juge par l’ardeur qu’on a mise à essayer de se passer de nous. J’ai dit tout cela à Mme Mendl. Je vous le redis encore parce qu’on vous demande probablement votre avis sur l’opportunité de notre concours. Je souhaite que vous n’y voyiez pas d’inconvénients et que vous donniez à cela un avis favorable. Maintenant, je ne puis plus rien, parce que je suis loin, que j’ai beaucoup à faire et que n’ai que trop passé pour un raseur sinistre. J’ai essayé d’arracher cet argent à l’initiative privée, mais on sait en France qu’il y a des fonds d’Etat et ça réfrène bien des ardeurs !
Voulez-vous donc faire le nécessaire pour cette lettre de Vienne ? Je vous en serai beaucoup de gré. Vous savez que je n’ai lancé cette idée d’un concert supplémentaire qu’après avoir eu votre approbation.
Mille affectueux souvenirs.
Louis Fleury
2 Juillet
Source : Bibliothèque Nationale de France http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb39807911t