À Robert Brussel – 9 Août 1922

[Tampon réception le 12 août 1922]

9 août Salzbourg

Cher Ami, [Robert Brussel]

Maître-Jacques (1) de la flûto-musicographie, je lâche mon instrument pour le stylo, et vous envoie quelques lignes sur le Festival, puisqu’hélas aucun critique français n’est ici pour en rendre compte. Ça me met dans une position gênante. Comment parler de nos succès ? 

Comme il faut tout de même en parler, je vous communique l’impression générale : la participation française a été l’évènement et la révélation du Festival. Nous en sommes ce matin au 4ème concert d’une série de sept.* Il s’y est fait une dépense moyenne de 3 heures de musique par concert, quelque chose d’affolant et de terrifiant. Beaucoup de discours, beaucoup de monotonie, beaucoup de superfluité. Tout le monde proclame que, jusqu’ici, le seul programme qui ait eu une tenue a été le programme des Français. Le Quintette de Magnard a beaucoup porté, malgré le nom de l’auteur et les rudesses de sa musique. Immense succès pour la petite pièce de Debussy. Effarement mais vive curiosité pour Milhaud. Unanimité dans le succès de la Sonate de Koechlin. Naturellement, ils ont été épatés par la sonorité des vents français. Ils n’ont pas l’habitude ! Et ils nous demandent instamment de revenir l’année prochaine, non seulement pour la musique moderne, mais pour le festival Mozart. Ils voudraient aussi nous avoir à Vienne. 

Tout ça, c’est à voir. Nous en reparlerons ultérieurement. Sans penser à l’avenir, disons tout de suite que l’effort que nous avons tous fait n’a pas été perdu, et que, nous en tirons, je crois, le maximum de rendement. 

M. Dumas doit faire, parait-il, un rapport officiel sur la question. Je tenais à le préciser officieusement, pour vous remercier mille fois de l’aide précieuse que vous nous avez apportée, en ces circonstances. Je le ferai mieux de vive voix, lorsque j’aurai la bonne fortune de vous voir, ce qui ne m’est pas arrivé depuis longtemps. 

Mille amitiés, en hâte.

Louis Fleury

* en 4 jours ! (Sic) 

 (1) Personnage symbolique du compagnonnage, chef des compagnons tailleurs de pierre. 

Source : Bibliothèque Nationale de France http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb398078942