Souvenirs d’un Flûtiste – 6. Les Cordes – Trois Inséparables

Revues françaises, Le Monde Musical, Souvenirs d'un flûtiste | 0 commentaires

 Le Monde Musical N°5 et 6 Mars 1925 

S O U V E N I R S    D’ U N    F L Û T I S T E  (suite) 

Le Conservatoire vers l’époque de son centenaire (1895-1900) 

L E S   C O R D E S

      

Un petit homme fluet, serré dans un mince pardessus de demi-saison, sous lequel il devait geler, lorsque la bise glaciale de février s’engouffrait sous le porche, la figure fine et un peu banale d’un peintre en porcelaine ou d’un modeleur de statuettes, avait charge des jeunes violonistes d’une classe préparatoire. Il s’appelait Desjardins. Pendant quelques années il eut comme collègue le grand, l’admirable violoniste Maurice Hayot, un des vrais Maîtres français du violon, qui n’a pas su, ou n’a pas voulu, ou n’a pas pu prendre la place qui lui revenait dans la hiérarchie des virtuoses, c’est-à-dire une des premières. Il nous en consola en fondant un quatuor qui pouvait rivaliser avec les plus grands et qui s’est dissous trop tôt. La franchise et la combativité d’Hayot se reflétaient dans son jeu véhément et généreux. Il ne traîna pas longtemps au Conservatoire et c’est dommage, mais nous y gagnâmes peut-être quelques années de quatuor de plus et ceci vaut bien cela. 

Les quatre classes supérieures avaient comme titulaires Garcin, Marsick, Berthelier et Lefort. 

Ce dernier est le dernier survivant des quatre. A la couleur près, car il a blanchi, c’est exactement le même petit homme pressé que je voyais filer à toute allure dans le Faubourg-Poissonnière, le buste en avant, l’oeil à l’affût, dans l’attitude de l’homme en retard, prêt à bondir sur la plate-forme de l’omnibus malgré le signal  complet. 

Berthelier était très populaire parmi les musiciens d’orchestre. Il avait fait toute sa carrière à l’Opéra et c’est à lui, je crois, que revient l’honneur d’avoir créé la célèbre « Méditation de Thaïs », morceau chéri des Maîtres de chapelle et des curés parisiens, que le Motu proprio de défunt Pie X a toujours trouvés insensibles. Il jouait cette musique érotique avec une flamme que ne laissaient pas soupçonner son physique reposant et son sourire timide. Affable, un peu mélancolique comme s’il prévoyait déjà sa triste fin, il devait mourir aveugle.

Chevelure luxuriante, barbe en pointe, un peu bedonnant, l’air bien nourri d’un Christ de chez Bouasse-Lebel, Marsick était encore à cette époque un virtuose en pleine activité et sa réputation avait, de beaucoup, dépassé la zone des fortifications. Il avait le jeu élégant des violonistes de sa génération lesquels exerçaient leur talent sur les espagnolades de Sarasate et les tziganeries de Jéno Hubay, comme ceux d’aujourd’hui le font sur les ersatz d’ancien fabriqués de toutes pièces par l’ingénieux Kreisler. Il composait peu lui-même, mais sur le tard il recommença ses études et dit une fugue qui eut quelque retentissement. Il est mort tout récemment, injustement oublié, car c’était un vrai maître du violon.    

Distingué, élégant, encore beau malgré les ravages de l’âge et de la maladie, Garcin terminait dans de cruelles souffrances physiques, une carrière assez brillante. Il avait été durant quelques années chef de l’orchestre de la Société des Concerts. Je le voyais sortir de sa classe, frileux, enveloppé dans un long et chaud pardessus, les mains tremblantes et la démarche saccadée des ataxiques. Un de ses derniers élèves fut Philipe Gaubert, déjà nanti de son premier prix de flûte et qui — roublard — vint passer une année dans sa classe. L’étude du violon n’est jamais inutile à un futur chef d’orchestre, et Philippe n’est pas pour rien du pays des truffes : à 16 ans il témoignait déjà d’un fameux flair. 

Garcin mort, sa succession échut à Rémy, tout heureux de planter là Colonne qui le payait mal et les Tubicoles qui le payaient encore moins. 

Cependant, tout près du Conservatoire, guettant son retour possible, car il n’abdiquait pas, furieux d’avoir été mis à la retraite à l’âge encore tendre de soixante-quinze printemps, le vieux Dancla se consumait de rage et maudissait la stupidité des règlements et la férocité des ministres. Ses compositions lui avaient valu une immense renommée en province et les élèves affluaient chez lui de tous les chef-lieux de canton. Il partageait avec les solistes de la garde Républicaine le monopole de la propagation de la mauvaise musique, avec cette circonstance aggravante que, lui, la fabriquait lui-même. Tel Hébert, qui, à 89 ans, posait encore sa candidature à la direction de la Villa-Médicis, Dancla voulait régner à nouveau au Conservatoire. Les gestes saccadés et le regard éteint d’un personnage de « La Parabole » de Brueghel, il venait de temps à autre humer l’air de la maison, et cet air chargé de miasmes avait pour lui le parfum de l’ambroisie.

La lecture d’un palmarès est très consolante pour les jeunes hommes pressés. Si tous les brillants lauréats de cette période avaient poursuivi leur carrière de virtuose et défendu leur place avec énergie, les nouveaux venus n’auraient eu d’autre alternative que l’exil ou le suicide. Or, des quatre premiers prix de 1895,  l’un fait de l’industrie et l’autre de la médecine ; des quatre de 1896, deux sont chefs d’orchestre, un autre est en province, et ainsi de suite. Le reste n’a pas mal tourné. On me permettra de placer en première ligne Jacques Thibaud qui obtint péniblement un premier prix, dernier nommé, que lui accorda dédaigneusement un jury bien difficile en vérité ! Pierre Monteux, appelé avant lui dit de son petit ton tranquille: « Thibaud est après moi ? C’est dégoûtant… » Il avait déjà laissé le violon pour l’alto, dont il jouait supérieurement, et aspirait surtout à transformer son archet en baguette. L’année suivante, Thibaud, en dix mesures du Prélude du déluge, établissait chez Colonne une réputation qui, en trois ans, fut universelle. 

C’est vers cette année-là qu’un grand garçon brun, au crâne tondu, à l’oeil sévère et aux pommettes saillantes, fit son apparition au Conservatoire, partageant son temps entre Marsick et Massenet et étonnant l’un et l’autre par sa prodigieuse précocité. Il s’appelait alors Enescu, puis Enescou et finit par devenir Georges Enesco. Etant né Maître, il moisit peu dans la maison. A la classe d’orchestre, il se dressait durant l’entr’acte, et travaillait ses concertos, éblouissant ses condisciples par sa technique aisée et robuste. Il y avait là Charles Wolff qui barytonnait déjà sur la quatrième corde, Duttenhofer, qui arborait de luxueuses lavallières de soie blanche à l’instar de Catulle-Mendès, le fin Valerio Oliveira (qu’est-il devenu ?) la brune Dellerba et la blonde Chemet. Il y avait surtout le plus étonnant de tous, le fameux Phal. 

La vie excentrique de ce garçon mériterait un volume. Il s’était présenté au Conservatoire costumé en pupille de la Marine, col ouvert, béret réglementaire à pompon rouge et la démarche chaloupante d’un vieux loup de mer. On a su plus tard que ce costume était de pure fantaisie. Déjà, il jouait du violon avec une virtuosité étourdissante, un son net et clair, un style excellent, une absence de recherche et une élégance miraculeuses, et dans doute eût-il par la suite égalé les plus grands s’il n’avait été fou. Mais il était fou. Il gagnait sa vie dans les brasseries, tellement heureux de jouer du violon que, la soirée finie, il recommençait sur le trottoir, pour le plaisir, se prodiguant volontiers pourvu qu’on ne lui demandât pas. En revanche, soliste dans un grand orchestre symphonique, il posait son violon à terre pour compulser, durant toute une répétition d’énormes volumes de droit. Car il faisait du droit, et aussi du sport, et toutes choses étrangères à son Art; quant à l’art de river son clou au directeur et de plaquer le chef d’orchestre, il le possédait comme pas un. Il a occupé et abandonné tous les postes, habité tous les quartiers, entrepris toutes les tâches et il a magnifiquement terminé son aventureuse carrière pendant la grande guerre en se faisant tuer en héros, à la tête de sa section. On pense bien qu’avec une nature pareille, il n’était pas homme à se faire verser dans l’auxiliaire. 

* * *

 

Les jeunes gens n’apprendront pas sans étonnement que la création de la classe d’alto remonte tout juste à l’année 1894. Jusque-là, le noble instrument cher à Berlioz était réservé aux vieillards flapis ou aux jeunes ratés. Un bon gros garçon du nom de Laforge, qui n’était, à tout prendre, ni l’un ni l’autre, forma sa première classe avec de glorieux vaincus du violon et nous dota d’une lignée d’altistes de premier ordre, parmi lesquels il me suffira de citer, à l’ancienneté Denayer, Brun, Bailly, Casadesus, Vieux, pour que ne soit pas contestée l’utilité de la classe nouvelle. Cet apôtre de l’alto n’avait qu’une ambition : se produire comme violoniste. Il tint avec autorité le pupitre de violon-solo dans quelques orchestres symphoniques et il jouait faux avec assez d’ampleur et d’assurance pour qu’on n’eût pas trop à s’en offusquer. 

Un homme tout à fait charmant était le violoncelliste Delsart. Adoré de ses élèves, il s’occupait d’eux avec la plus grande sollicitude, leur prodiguait généreusement, c’est-à-dire gratis, des leçons particulière, et les poussait dans le Monde où il possédait d’innombrables relations. Tel son collègue Lefort qui avait inventé les ensembles de violons, il avait créé l’ensemble de violoncelles: douze basses soupirant à l’unisson le Lamento des Erynnies ou s’escrimant sur les Arlequinades ou Papillonnades du sieur Popper. Il avait fondé avec Diemer, Van Waefelghem et l’exquis Laurent Grillet, la première société française d’Instruments anciens. De ce contact avec les Maîtres du XVIII° il avait gardé sans doute ce jeu élégant qu’il communiquait à ses disciples. 

Les élèves de l’autre classe vantaient l’enseignement classique, la grande probité musicale de leur Maître, M. Rabaud, un tout petit homme vif à courte barbe blanche que nous rencontrions dans les couloirs, trottant d’un pas de souris pour se rendre à sa classe. Allié à toute une famille d’artistes, il avait épousé la fille du célèbre flûtiste Dorus, lui-même frère d’une cantatrice fameuse, Madame Dorus-Gras. Sans doute, vivant au milieu d’une telle constellation, n’avait-il plus d’éblouissement devant les étoiles. On m’assure qu’il éloigna prudemment ses fils de la carrière musicale, poussant le plus jeune vers le Droit. 

Un jour d‘été, en 1896, un grand jeune homme mince, flexible, à la barbe soyeuse taillé sévèrement en carré, sévérité atténuée par l’éclat de deux yeux malicieux, pénétra dans la classe de Taffanel, ployé sous un pesant fardeau. Il nous apportait un lot de musique de flûte, provenant de la bibliothèque de son grand-père récemment décédé. Lorsqu’il eut pris congé de M. Taffanel, celui-ci nous dit : « C’est le fils de M. Rabaud, le professeur de violoncelle. Il est à la Villa Médicis. Il ira loin. »

Je présume que déjà, M. Rabaud ne regrettait pas d’avoir vu son fils mal tourner. 

 * * *

 

T R O I S    I N S É P A R A B L E S

 

J’ai déjà dit que la bibliothèque était un endroit délicieux. Au-dessus du rez-de-chaussée obscur où les riches collections du musée et leur conservateur M. Pillaut moisissaient de compagnie, la longue salle bien chauffée de la bibliothèque offrait aux travailleurs ses trésors poudreux et aux oisifs un asile confortable qu’agrémentait la conversation cordiale des garçons Henri et Mathieu. Nos petites parlottes se déroulaient sous l’oeil olympien de Julien Tiersot, alors sous-bibliothécaire. Juché sur une haute estrade, le chef coiffé d’une petite calotte de soie noire à laquelle il ne manquait qu’un bouton de cristal, il évoquait avec ses yeux bridés et sa barbe longue et pointue, un mandarin qui serait en même temps gardien de sémaphore; car sa fonction était de scruter l’horizon — à la vérité fort réduit — et d’y surveiller les méfaits possibles des voleurs ou des vandales. Les habitués étaient de deux sortes: quelques musicologues centenaires, parmi lesquels le hargneux Pougin, et de jeunes élèves d’harmonie qui venaient copier, dix minutes avant la classe, les réalisations du « Reber et Dubois ». L’exemplaire unique de ce bouquin providentiel était, de beaucoup, l’ouvrage le plus consulté de la bibliothèque et les marges en étaient polies et repolies par les pouces graisseux de plusieurs générations de flemmards. 

Le Maître et seigneur de ce petit royaume était Jean-Baptiste Weckerlin. Le nom de Weckerlin est synonymes de Fêtes champêtres, de personnages de Watteau ; On le trouve chez tous les professeurs de chant, sur la couverture d’innombrables recueils d’airs à danser, de pastorales et de refrains populaires. On imaginerait volontiers l’auteur de ces reconstitutions sous les traits d’un jeune et beau garçon, mi-artiste mi-campagnard, l’oeil vif, la chevelure au vent, la lèvre en fleur, parcourant les routes, bâton à la main et sac à dos, à la recherche de jolies chansons du pays de France. En réalité, Weckerlin était un vieillard bourru, mi-ours mi-porc-épic, taillé en granit vosgien, et dont l’aspect rébarbatif plongeait la salle de lecture dans la consternation lorsqu’il la traversait pour se rendre de son cabinet aux régions mystérieuses où s’étageaient livres et partitions. Une crasse auguste et à demi-séculaire le protégeait contre les rigueurs de la bise. Il avait accumulé sur sa personne et soigneusement conservé, la poussière des milliers de volumes qu’il avait classés, compulsés et appris par coeur. Un peu voûté, les pieds trainants dans des chaussures éculées qui faisaient flic-floc sur le parquet, il faisait, sous le rapport de la gaîté, un sordide pendant à son quasi compatriote, Ambroise Thomas. Mais quel admirable bibliothécaire !…

Il était l’auteur d’une innovation qui causa, en son temps, un certaine surprise. Son prédécesseur immédiat était Félicien David, qui avait succédé à Berlioz, lequel était bibliothécaire depuis l’an de grâce 1839. Or, de 1839 à 1876, on n’avait jamais vu le bibliothécaire au Conservatoire. Les deux grands musiciens susnommés se contentaient de passer tous les mois à la caisse. Weckerlin, au contraire, habitait sa chère bibliothèque. 

Il l’enrichit considérablement, même de ses deniers ; il en mit au jour de nombreux trésors jusque-là insoupçonnés, les garda avec une fidélité et une férocité de bouledogue, et, à sa mort, légua au Conservatoire les perles de sa collection particulière. 

Il n’aimait guère les profanes, les indiscrets et les raseurs ; mais les vrais travailleurs trouvaient chez lui le meilleur accueil. Parmi ceux-là venaient au premier plan deux inséparables, l’organiste Guilmant et le compositeur Bourgault-Ducoudray, chargé du cours d’histoire de la musique. 

Epais, massif, portant éternellement le complet-redingote en drap fin et le gibus de rigueur aux enterrements provinciaux, Guilmant, qui venait de succéder à Ch. M. Widor à la classe d’orgue, faisait de fréquentes apparitions à la bibliothèque. Il avait publié et publiait encore de copieuses rééditions de maîtres anciens et surtout de J. S. Bach. La bouche énorme et molle, l’oeil bovin, il donnait, grâce au contraste de sa face congestionnée et de sa barbe neigeuse, la parfaite représentation d’un entremets panaché, framboise et crème fouettée.  Un sourire candide illuminait volontiers son honnête figure. Virtuose prodigieux, il avait fait le tour du monde, particulièrement du Nouveau-Monde, en donnant des récitals restés fameux. Il menait son instrument avec une souplesse incomparable et en tirait des effets d’une richesse sans cesse renouvelée. C’est lui qui a popularisé la salle du Trocadéro, et les récitals d’orgue qu’il y donnait purent faire croire aux Parisiens que cette laide bâtisse était, à tout prendre, propre à contenir de la musique. Encore un monument qu’un avec un raffinement de cruauté diabolique les Allemands se sont acharnés à respecter lors de leurs attaques aériennes…Ils nous ont eu ! 

Les apparitions de l’excellent homme étaient toujours discrètes, voire même timides. Il n’en était pas de même avec son meilleur ami. Une porte claquant violemment dans le vestibule, le pas saccadé d’un homme pressé grimpant quatre à quatre l’escalier sans tapis, la porte ouverte en coup de vent ; nous avions déjà deviné l’arrivée de M. Bourgault- Ducoudray. Long, sec, mais sec à croire, lorsque ses membres remuaient, qu’ils allaient soudain prendre feu comme des allumettes, le regard fixe sous le rempart d’une double paire de lunettes, les cheveux raides retombant sur le col, et coupés net comme par un couperet de guillotine, porteur d’un éternel parapluie qu’il brandissait comme un sabre, et les épaules couvertes, par dessus le manteau, d’un plaid écossais, tel était cet homme prodigieux, dont l’aspect satanique nous plongeait dans la stupeur et qui était, en réalité, une des plus grandes, une des plus nobles figures de son temps. 

La vie de Bourgault-Ducoudray est un modèle de dévouement à l’Art, de self-sacrifice fait aux idées. Compositeur, prix de Rome, il aurait pu, comme les camarades, monnayer sa musique, une musique excellente, ou faire la chasse aux sinécures ; il en  existe quelques-unes. Mais un démon était en lui, qui le poussait toujours à la recherche d’une idée nouvelle, et lorsqu’il avait enfourché un dada, il ne le lâchait qu’à épuisement.  Deux grandes idées ont occupé sa vie : l’études des modes grecs, qu’il a poussée très loin et répandue généreusement, ouvrant ainsi des horizons insoupçonnés à toute une génération de musiciens, et la diffusion de la musique chorale qu’il a voulu implanter en France, ce qu’il a fait mourir à la peine. Il nourrissait cette illusion généreuse, que les Français pourraient un jour, tels les Hollandais, les Anglais et les Allemands, se réunir, sans distinction de fortune ou de caste, pour le plaisir sain et noble de chanter en choeur les grands chefs-d’oeuvres de la musique. C’était mal connaître ce peuple de solistes, rebelle à la discipline et à qui répugne l’effort anonyme. L’hiver qui précéda sa mort, à 70 ans, usé et malade, il allait plusieurs soirs par semaine faire répéter des orphéonistes dans tous les coins de la banlieue, en vue d’une grande exécution qui devait avoir lieu au printemps. Il a usé là ses dernières forces. 

Une mission en Grèce, d’où il fait rapporté de précieuses trouvailles sur les modes antiques et un recueil exquis de chansons populaires modernes, lui avait fait au retour une réputation de savant. On lui confia la chaire d’histoire de la musique au Conservatoire. 

Cette épithète de savant l’a poursuivi et accablé toute sa vie. Bourgault-Ducoudray n’était pas un savant. S’il n’avait été que cela, ce n’eut pas été grand’chose ; l’espèce pullule. On trouve des savants dans tous les chefs-lieux de canton. Il était beaucoup mieux que cela. C’était un musicien cultivé. C’est plus rare…Il ne travaillait guère sur fiches; il s’intéressait peu aux dates, et la découverte de l’acte de baptême du cousin issu de germains d’un grand musicien le laissait froid. Je le soupçonne d’avoir préparé beaucoup des ses conférences à l’aide du Fétis dont il n’ignorait ni les lacunes, ni les bévues. Ce n’est pas très bien vu en Sorbonne; mais ses cours avaient une allure qui manque cruellement à ceux de cette boite sinistre. Ayant adopté un sujet, il l’aimait, et il le faisait aimer à ses auditeurs. Sa parole entraînante, bourrée d’idées, a plus fait pour la diffusion de l’histoire de la Musique que les milliers de kilogrammes d’articles funèbres consacrés aux à-côtés de la Musique. Il était impossible d’assister à l’un de ses cours du jeudi sans en retenir quelque chose de substantiel. 

Malheureusement les élèves du Conservatoire n’y allaient pas, le cours étant facultatif  !!…Et c’est devant une salle bondée de gens du monde, de vieux savants et de vielles perruches, que se déroulaient ces cours admirables destinés aux futures gloires de la Maison. Ah ! Jeunesse !…

 (A suivre) 

L. FLEURY

Source  :   Le Monde Musical  36° année, N° 5 et 6 – Mars 1925  (Collection privée L. Renon) 

Commentaires

© 2023 – All Rights Reserved
Directrice de Publication : Lucile Renon
Création et intégration : Justine Gelis – justincreations.fr – Hébergement : OVH – Mentions légales