La Musique pour Deux Flûtes sans Basse

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L A   M U S I Q U E   

P O U R  

D E U X   F L Û T E S    S A N S   B A S S E 

 

Une combinaison instrumentale nouvelle à l’oreille moderne a attiré l’attention du public et de la critique lors de l’exécution récente [1] de la courte sonate de Ch. Kœchlin en trois mouvements pour deux flûtes sans accompagnement. L’œuvre est celle d’un bon musicien et pourrait nous plaire uniquement par ses qualités intrinsèques, mais il est également intéressant de rappeler comment une combinaison fréquemment employée il y a un siècle est désormais complètement tombée en désuétude. « Un duo pour deux flûtes peut-il être beau ? » demande M. Jean Darnaudat dans un long et précieux article consacré à ce récital. « Il ne peut certainement pas y avoir », dit-il, « de nombreux exemples de ce type de littérature musicale, excepté ces petites bagatelles pour les élèves, comme les duos de violon de Mazas ou de Viotti qui n’ont que peu d’ intérêt musical. »

Il n’est pas étonnant que le critique distingué soit tombé dans l’erreur, partagée par la plupart de ses collègues ; peut-être a-t-il tendance à traiter cette musique un peu trop légèrement, car elle a pourtant  eu beaucoup de succès en son temps. 

Contrairement à ce qu’il croit, une grande partie de la musique écrite pour deux flûtes avec ou sans basse est loin d’être négligeable.

Pendant tout le XVIIIe siècle, les catalogues des éditeurs indiquent une très riche collection, et, bien qu’une grande partie ait été perdue, il en reste encore assez dans les bibliothèques publiques pour fournir, pour plusieurs années encore, les programmes des clubs de flûtistes [2]qui existent encore en Angleterre et en Amérique. 

Une combinaison de ce genre devait répondre à un réel besoin, sinon elle n’aurait pas joui d’une telle popularité depuis un siècle et demi. En parlant seulement des œuvres écrites pour deux flûtes non accompagnées (car il en existe en outre un grand nombre pour deux flûtes avec accompagnement), j’oserais dire, que pour une certaine classe d’amateurs des XVIIIe et XIXe siècles, cette musique a dû joué le même rôle que les duos de pianoforte des temps modernes.

De la fin du XVIIIe siècle jusqu’aux environs de 1842, la flûte était l’instrument familier de l’amateur. Au XVIIIe siècle, il était l’instrument typique de l’aristocratie, non seulement en Allemagne, où l’illustre exemple de Frédéric II [3] la rendu naturellement populaire, mais également en France et en Angleterre. Un grand noble se soumettait avec difficultés à la longue et fastidieuse étude du clavecin. Il pensait qu’il était indigne de jouer du violon, instrument plébéien réservé aux professionnels ; mais, en revanche, il se consacrait volontiers à la flûte, choix considéré comme étant le meilleur. 

Quelle était la raison de cette préférence ? Nous ne saurions le dire, mais nous pouvons facilement la définir par le nombre et la qualité des joueurs de cette époque. En parcourant les dédicaces d’œuvres pour deux flûtes, nous constatons que le plus grand nombre des auteurs s’adressent aux élèves, tous ou presque étant des nobles importants ou des gens riches, tels que le comte Egmont, le duc de Gueldres (mécène de Naudot), ou M. de la Pouplinière. [4]

Désormais, nous pouvons en déduire qu’un grand nombre de professeurs de flûte (la plupart de ces duos étaient composés par des flûtistes) ne jouaient pas de clavecin. Pour soutenir les premiers pas de leurs élèves, ils ont donc dû improviser un accompagnement sur leur propre flûte et cet arrangement pratique les a encouragés à écrire de courtes pièces. C’est ainsi que sont nés de la plume des flûtistes de l’époque un grand nombre de duettos, duos et suites pour deux flûtes allemandes « propres à être jouées par les hautbois ou les violons« , expression dont nous reparlerons plus tard. Mais cela ne satisfaisait pas tout à fait le goût des élèves. Ceux-ci étaient des gens à la mode qui allaient au théâtre et aux concerts. Ils entendaient de la musique qu’ils souhaitaient pouvoir jouer eux-mêmes et être ainsi au contact du monde musical.

Le provincial n’était pas tout à fait ignorant de ce qui se passait à Paris ; le Parisien avait une vague idée de ce qui se passait dans les pays étrangers ; et c’est probablement de là que sont née les grandes collections d’ airs, concertos, courtes pièces,  menuets, etc., avec doubles et variations toutes arrangées pour les flûtes allemandes. 

Tout comme l’amateur moderne, incapable d’entendre la dernière production de Mr Schönberg, l’envoie pour qu’elle soit arrangée en duo de pianoforte, de même, avec l’aide de son maître à Paris, le français dilettante pouvait jouer les principaux airs du dernier opéra de Haendel, arrangés pour deux flûtes. On m’a assuré que la partition complète du Messie existait ainsi arrangée pour deux flûtes sans accompagnement (bien que, jusqu’à maintenant, je n’ai été en mesure de vérifier cette affirmation que, je dois dire, j’ai du mal à croire). En tout cas, la plupart des airs d’opéra, de ballet, et chansonnettes de l’époque étaient ainsi arrangés. Dans ses  trois livres, Blavet a inséré de nombreux arrangements, essentiellement des airs de Rameau et de Haendel, mélangés à  ses  propres courtes pièces, souvent écrites pour flûte avec accompagnement . 

Ainsi, le flûtiste amateur pouvait explorer la musique contemporaine, à petit prix et sans trop de problèmes.

De plus, la popularité peu commune de cette combinaison ne se limite pas à un siècle. Son engouement, dont l’apogée eût lieu durant le XVIIIe siècle [5], a bien continué au XIXe, et les duos les plus populaires, ceux de Kuhlau, sont joués par tous les flutistes encore aujourd’hui.  Si, dans cet article, une attention spéciale est accordée aux œuvres des compositeurs mineurs du XVIIIe siècle, c’est parce qu’elles  sont particulièrement réussies dans un genre d’écriture qui exige ni brio ni vision très large. Ailleurs, j’ai  souvent attiré l’attention sur le fait regrettable qu’au siècle dernier, l’art d’écrire pour la flute a connu un déclin constant. Des hommes comme Tulou, Bœhm, Drouet et d’autres, ont introduit un style pompeux et ampoulé, qui a tué tout désir chez les musiciens de leur génération d’écrire ou d’entendre de la musique pour flûte. Mais ce déclin n’a pas empêché le nombre d’ amateurs d’augmenter de   » dizaines en douzaines, » et les flûtistes de leur proposer leurs interminables élucubrations, comme nous pouvons voir chaque jour dans les librairies d’occasion.

Mais nous ne devons pas penser que seuls les flûtistes professionnels ont été tentés par cette classe de composition ; chez les maîtres en la matière, et non sans importance, chacun a daigné ajouter sa pierre à l’édifice. Nous en parlerons plus longuement en temps voulu. Parmi les grands  flutistes précurseurs, ceux qui, selon toute probabilité, ont commencé leur carrière comme joueurs de flûte à bec, ou flûte anglaise, et l’ont abandonné pour la flûte allemande (probablement durant les dernières années du règne de Louis XIV), un seul, Michel de la Barre, a laissé une œuvre digne de lui survivre. Du Maître Descoteaux, immortalisé par La Bruyère comme « L’amateur de tulipes », et qui ravît la Cour de Versailles et le grand roi lui-même par son jeu à la flûte à bec, pas une seule œuvre ne nous est parvenue. Peut-être  n’a-t-il  jamais rien écrit…

Hotteterre le Romain, le plus célèbre de la dynastie Hotteterre,  publia un traité sur la flûte allemande – célèbre uniquement parce que ce fût le premier du genre apparu en France – et un livre de duos pour deux flûtes avec accompagnement, sans intérêt musical. Nous ne connaissons rien d’autre de lui.  Gaultier de Marseille, dont la vie aventureuse mérite un article à elle seule, nous a laissé quelques œuvres qui, il est vrai, sont assez picturales, mais musicalement inintéressantes. En revanche, quand on se penche sur les nombreuses œuvres de La Barre, c’est une tout autre histoire.

La Barre est né en 1675 et est mort en 1743. Il a été influencé par Lully de son premier opus (1703) à son dernier, et c’est à cet égard qu’il est un véritable compositeur du XVIIIe siècle. Il vise une certaine solennité pathétique, dans la mesure où ces hauteurs peuvent être atteintes par son instrument. La publication de ses œuvres forme des séries régulières entre les années 1702 à 1725, et il est un fait curieux que de 1711 à 1723 il écrit, peut-être en clin d’oeil à ses élèves, seulement pour deux flûtes, et, à l’exception d’un livre unique (1721) dans lequel un accompagnement est inclus, toute cette série est pour deux flûtes sans accompagnement. Les deux premiers livres sont apparus dans la même année, 1711, un troisième suivi en 1713, un autre en 1714, un autre en 1721, et deux autres encore en 1722 et 1723. Il y a donc en tout sept livres de sonates. Aucun d’entre eux n’est  à négligé et certains des mouvements lents sont très beaux. Si, comme j’ai de fortes raisons de le penser, La Barre est vraiment la figure centrale du magnifique tableau de la National Gallery, attribué à Rigaud [6], on ne relie pas ce personnage pétulant à sa musique ! La Barre réussit surtout dans les mouvements lents, pour lesquels il devait avoir une affection particulière, car dans une suite pour deux flûtes de l’organiste Dornel (1695-1765), je trouve un prélude solennel intitulé  Le favori de M. de la Barre.

Comme je l’ai déjà dit, la constellation de grands flûtistes de l’époque de Louis XIV s’est éteinte avec La Barre, mais pendant la Régence, et le règne de Louis XV, les compositeurs et virtuoses ont rendues brillantes et délicates les capacités de l’instrument, qui est arrivé à son apogée.

Il y a deux flûtistes français qui sont des figures dominantes au XVIIIe siècle, Blavet et Naudot, et leur renommée égale celle de leur illustre compatriote Joachim Quantz de l’autre côté du Rhin. Le maître de Frédéric est un bon juge en la matière ;  il parle des deux avec admiration et le vieux Denesle les exalte tous les deux dans son poème Syrinx, ou l’origine de la flûte ; il couple leurs noms avec celui du mystérieux Lucas, dont nous ne connaissons ni la vie et ni les œuvres. Bien que nous puissions dire que nous ne savons rien de la vie de Naudot, nous connaissons néanmoins toutes ses compositions ; cela signifie-t-il que sa carrière était celle d’un professeur, tandis que Blavet menait principalement la vie d’un grand virtuose ? Nous sommes plutôt tentés d’adopter cette hypothèse, puisque, malgré la grande réputation de Naudot, son nom n’apparaît pas sur le registre de l’Orchestre de l’Opéra, ni même dans la liste de ceux qui jouaient occasionnellement aux Concerts Spirituels. Alors que Blavet n’a écrit qu’un seul livre de sonates pour deux flûtes sans accompagnement, auquel il a ajouté, il est vrai, les divers recueils d’airs déjà mentionnés, on en retrouve deux dans les œuvres de Naudot, ainsi que six livres de sonates et trios pour instruments accompagnées, toutes jouées par deux flûtes. L’ensemble est un travail de premier ordre. 

Jusqu’au jour où j’ai découvert les sonates de Haendel pour deux flûtes avec accompagnement qui portent incontestablement sa propre marque (mais qui pourrait être un arrangement du compositeur d’œuvres déjà publiées).  J’avais tendance à penser que les sonates de Naudot étaient les meilleures qui avaient été écrites à cette époque pour cette combinaison particulière. Sa musique est essentiellement gaie et gracieuse, bien que parfois teintée de mélancolie, principalement dans les rondos, où il excelle. Admirablement écrites pour un instrument dont il connaît évidemment toutes les capacités, et montrant au mieux les capacités, non seulement de la première, mais de la seconde flûte, ces sonates sont bien plus que de simples bagatelles pour encourager les élèves, ce sont des pièces de concert régulières, dont les quatre parties – généralement un Adagio servant d’ouverture, un brillant Allegro, un mouvement lent et un final rapide- donnent aux deux virtuoses l’occasion de montrer leurs possibilités. Et cette musique n’est pas seulement bonne techniquement. Les idées musicales de Naudot sont toujours de haut niveau, et souvent délicieuses ; et si on ne savait pas avec certitude que les grands maitres flûtistes du XVIIe siècle ont été oubliés, voire tout à fait ignorés, par leurs imitateurs du siècle suivant, on ne pourrait s’expliquer l’oubli total dont il a fait l’objet.

Cette observation ne s’applique pas seulement à sa musique pour deux flûtes, mais à tout ce qu’il a écrit; ses compositions, variées et nombreuses, comprennent pas moins de vingt volumes, contenant chacun au moins six sonates ou pièces diverses, qui ont été publiés de 1726 à 1749. Blavet, se tourna en revanche vers la sonate pour flûte avec accompagnement.

Mais l’examen de nos trois collections de pièces diverses arrangées pour deux flûtes regorge d’intérêt, car elles reflètent fidèlement le goût de l’époque, et sont une sorte d’anthologie de la musique populaire de la Régence et du règne de Louis XV. La part de l’auteur a fait l’objet de nombreuses discussions : s’il y glisse suffisamment de sa propre musique pour maintenir sa réputation, il est aussi assez modeste pour se souvenir que son but est d’apporter des partitions qui étaient à la mode et à la  portée des amateurs. Celles de Rameau, ainsi qu’une ou deux de Handel, sont leur parure la plus pérenne. Elles sont accompagnés d’un très grand nombre de chansonnettes et de petits airs populaires, tous de nature à satisfaire le goût soigné. 

A la Bibliothèque nationale, Boismortier est imputable de six livres de sonates pour deux flûtes et basse, sans oublier ceux pour deux flûtes et basse chiffrée, trois flûtes et basse, et les concertos pour cinq flûtes. Ce dernier a une particularité, la cinquième flûte peut être remplacée par un continuo, et elle est écrite de telle manière qu’elle ne peut être jouée sur une flûte ordinaire, mais nécessite une flûte en sol. Cela nous ramène au Prélude du Triomphe de l’Amour de Lully, exemple le plus caractéristique du concerto pour flûtes de différentes tonalités. C’est pourtant une exception ;  la particularité de ces ensembles de flûtes (duos, trios et quatuors) est, qu’ils sont écrit pour des instruments de même tonalité et de même registre. Comme la plupart de ses œuvres, ces sonates de Boismortier ne présentent qu’un intérêt mineur, comme on peut egaleemnt le dire de nombreuses pièces de cette période.

Nous en trouvons une quantité dans les réserves de la seule Bibliothèque nationale – duos de la plume d’Athys, Birault, Braun, G(uillemin, Guillemant, Handouville, Leclerq, Lot (ancêtre du premier luthier  de flûte Boehm, et luthier lui-même), de Lusse, Monteclair, le Philidor, Roget, Taillart, et Telemann. Et cela ne représente qu’une petite partie de tout ce qui a été écrit au XVIIIe siècle. Si l’on ajoute que tous les duos pour deux violons ont été, pour des raisons commerciales, publiés par les auteurs comme convenant à la flûte allemande, on arrive à une quantité énorme de musique pour deux flûtes. Il ne fait aucun doute que la plupart de ces pièces reposent définitivement sur les étagères des bibliothèques, et il serait bien dommage que quelqu’un prenne la peine de les déterrer.

L’auteur adopte généralement la pratique condamnable de doubler la partie de la première flûte en tierces et en sixtes. Il n’est que trop facile de tomber dans ces travers, et les compositeurs, par paresse ou par ignorance, ne manquent jamais de le faire. C’est justement cela que les grands musiciens, comme Haendel, ou les maîtres de style, tels que Naudot et Blavet, ont su éviter.  A ces deux noms, il convient d’en ajouter un autre, celui d’un flûtiste encore plus obscur que le mystérieux Naudot, le charmant Pierre Bucquet, dont le nom a été révélé il ya quelques années par Charles Bouvet. [7]

 Le nom de Pierre Bucquet [8] est purement français, mais il a voyagé ou vécu en Espagne. Était-il familier des œuvres du grand François Couperin, ou a-t-il puisé dans sa propre  imagination l’idée d’une musique à programme ?  Car ces petites pièces, très attachantes pour la plupart, et parfaitement écrites, portent des sous-titres amusants avec des commentaires musicaux qui ne manquent pas d’habileté et même s’il arrive que les commentaires aient peu ou pas de rapport avec le titre, la musique reste très charmante. Il est assez curieux que les pièces de cette époque pour deux flûtes sans accompagnement, qui méritent le plus d’être reprises [9], soient des duos de deux musiciens bien oubliés : Naudot et Pierre Bucquet. Ils seront néanmoins devancés, quelque temps plus tard, par le maître en ce genre, Kuhlau. 

Mais avant de venir à lui, il ne faut pas que j’oublie le nom de Devienne, qui est le plus représentatif de tous les flûtistes de la période de transition (fin du XVIIIe siècle). Au cours de sa courte carrière – né à Joinville Haute Marne en 1759, il mourut fou à Charenton en 1803 – ce charmant musicien s’est immortalisé de trois façons : par son petit opéra, Les Visitandines, qui avait du succès pendant la terreur, et qui, il n’y a pas longtemps, était encore au répertoire ; par une Méthode de Flûte, encore en usage ; enfin, et surtout, à mon avis, pour avoir servi de modèle au portrait admirable de David, actuellement  au Musée de Bruxelles.

Kuhlau a été surnommé par ses contemporains « le Beethoven de la flûte. « Ce qu’on ne nous dit pas« , remarque en s’amusant mon éminent ami professeur D. F. Tovey, dans les notes analytiques de son Edinburgh Concerts[10], « c’est que Beethoven méritait d’être appelé le Kuhlau de la Symphonie« . Qui aurait pensé que l’une des premières œuvres de Beethoven serait en fait l’un de ces duos pour deux flûtes dans lesquels Kuhlau allait exceller ? 

Un fait indéniable est que ce petit duetto sans prétention est bien l’œuvre de Beethoven ; le manuscrit, qui faisait partie de la collection du Dr. Prieger, de Bonn, porte cette inscription : « Pour l’ami Degenhart, 1792, 23 août, minuit. »

Comme la plupart des œuvres de première jeunesse de Beethoven, c’est une petite pièce avec  peu de contrastes, inspirée directement de Mozart ou Haydn, mais cependant beaucoup moins habile que les premières œuvres de Mozart. En même temps, on ne peut lui nier les qualités de grâce et de fraîcheur, mais rien de tout cela ne préfigure le Beethoven des symphonies et des quatuors. Il est évident que cette petite œuvre a été écrite sur commande, ou pour un ami amateur.

Je pensais avoir établi le fait de son existence, lorsqu’on a mis en doute l’authenticité de la sonate pour flûte et piano, retrouvée et publiée il y a quelques années par M. Aug. van Leeuwen.

Cette sonate, qui n’est pas de la main de Beethoven, mais qui aurait été écrite par lui avant son départ de Bonn, a vu son authenticité fortement contestée, mais à mon avis elle porte, même dans ses maladresses, les marques caractéristiques de son génie. On peut se hasarder à penser qu’ayant quelques flûtistes amateurs à satisfaire, il écrivit la sonate et le petit duo, l’un après l’autre, comme Mozart l’avait fait avant lui ; presque toutes les œuvres de ce dernier pour la flûte ayant été écrites la même année, 1778, pour plaire à un digne amateur français, le duc de Guines.

Le nom de Kuhlau est surtout connu du public par les sonates pour piano, qui constituent la base de tant de cours de pianoforte. Ce n’est pas ici, cependant, que le talent du musicien danois a montré lui-même plus heureusement, mais plutôt dans sa musique pour flûte, et spécialement celle pour deux flûtes.

Dans sa production assez importante, qui aurait été beaucoup plus grande encore, si un incendie n’avait pas, détruit une grande partie de ses manuscrits vers la fin de sa vie, la musique pour deux, trois, et même quatre flûtes prédomine.

Nous connaissons de lui, six livres de trois duos, un autre de trois trios, et un quatuor. La plupart d’entre eux, bien qu’accessibles aux amateurs, sont assez difficiles et nécessitent une bonne technique moyenne.

Les duos comprennent généralement trois mouvements assez développés — la plupart sur le même plan – un Allegro d’ouverture, un mouvement lent et un rondo final – ; mais le compositeur ne s’est nullement attaché à une seule forme. Il a réussi à faire varier ses effets, et toujours avec succès; le duo de l’Op. 81, par exemple, contient un scherzo amusant, en canon. Les mouvements lents de certains duos sont des airs et variations, et on ne peut qu’admirer l’ingéniosité et les combinaisons variées de celui en si mineur, dont le thème n’est composé que de trois notes.

Kuhlau a trouvé ici quelques effets délicieux, et il semble impossible que quelqu’un puisse employer à plus grand avantage deux instruments du même timbre et d’une étendue de moins de trois octaves. Certes, en écrivant cette longue série de duettos, Kuhlau pensait plus à ses élèves qu’aux artistes, et il n’imaginait pas leur exécution en public. Par conséquent, il n’a pas épargné les difficultés de lecture, de rythme, et même de technique. Cette manière de maître d’école est cependant à peine perceptible – l’ensemble reste parfaitement équilibré et d’un intérêt musical incontestable. Cependant, je ne sais pas si cette musique a déjà figuré dans un programme de concert. Tous les flûtistes, compositeurs de la première moitié du XIXe siècle, ont suivi cette tradition – Tulou, Berbiguier, Camus, Kummer, et, plus tard, Demerssemann et Walckiers ont écrit de nombreux duos pour  leurs élèves, mais de qualité sensiblement inférieure. Peut-être Walekiers (1793-1866), un professeur de flûte, qui a vécu à Paris vers la fin de sa carrière, a mieux réussi dans  ce style dont Kuhlau est reconnu maître .

Au début de cet article, j’ai parlé d’une Sonate pour Deux Flûtes de M. Charles Koechlin. Ce n’est ni de la musique terne ni des exercices d’élèves. Nous n’y trouvons que les inspirations heureuses d’un musicien exercé et raffiné.

J’aurais pu penser que cette sonate courte était un exemple unique dans les temps modernes de cette classe de musique, mais je viens de voir une autre sonate, en quatre parties, également pour deux flûtes, de M. Robert Casadesus. La date de ce manuscrit (1920) prouve que le jeune compositeur virtuose a écrit son oeuvre de manière assez spontanée, sans savoir que celle de M. Koechlin existait. C’est une indication de l’intérêt toujours croissant que les compositeurs d’aujourd’hui portent aux nombreuses combinaisons d’instruments à vent. On écrit de plus en plus pour de petits groupes, voire pour des instruments seuls, et cela ne se fait pas sans une petite révolution régulière dans la technique de composition. Les diverses sonates de M. Poulenc pour deux clarinettes, pour clarinettes et basson, pour cor, trompettes et trombone ; les pièces, de M. Stravinsky, pour clarinette solo, pièces pour flûte solo de M.M. Siohan, P. Ferroud, Cyril Scott, Whittaker, etc., nous lient à une succession de compositions qui pendant plus d’un siècle ont été totalement négligées. Voici un champ fertile à explorer pour la culture, et nul doute qu’il nous réserve plus d’une heureuse surprise.

 L. FLEURY

(et P. WYATT EDGEL trad.)

Traduction française : L. Renon

[1] Concert de la  « Société Moderne d’Instruments à Vent, » Salle des Agriculteurs, 7 Janvier 1922. (sic)

[2] Il s’agit d’une mode assez récente. À la suggestion d’ artistes ou  de mélomanes amateurs, des clubs été fondés à Londres New York, Boston etc., etc., où les flûtistes amateurs se réunissent occasionnellemnt pour jouer en  duos, trios, et quatuors. (sic)

[3] Les lecteurs de Peter Beckford aimeront se voir rappeler son bon mot. « Louis XV aimait si passionément la chasse qu’elle l’occupait entièrement. Le roi de Prusse, qui ne chasse jamais, consacre une grande partie de son temps à la musique, et  joue lui-même de la flûte. Un Allemand, pendant la dernière guerre (sept ans de guerre), rencontrant un Français, lui demanda très impertinemment « Si son maitre chassait tonjours »   » Oui, oui, répondit l’autre, il ne joue jamais de flûte ». (sic)

[4] Une reproduction d’un beau portrait de Van Loo, où l’on voit M. de la Pouplinière  avec une flûte à la main, forme le frontispice d’un ouvrage sur le grand Fermier-général par feu G. Cucuel. (sic)

[5] « seventeenth century » dans le texte original, mais il s’il s’agit probablement d’une erreur.

[6] D’après le Catalogue, ce personnage serait Lully lui-même ; Lully, tenant une flûte dans sa main gauche, et tournant les feuilles d’un livre de compositions de La Barre, La Barre étant à la table de Lully. (sic)

[7] C’est en effet cet éminent violoniste et musicologue qui a eu l’honneur de remettre en valeur la musique pour deux flûtes sans accompagnement. Deux suites de Pierre Bucquet, mises en lumière par  M. Bouvet qui les a publiées  en 1910. (sic)

[8] Le titre exact de son unique ouvrage connu est : Pièces à 2 Flûtes traversières / sans basse / divisées en 4 suites / dédiées aà Monsieur le Comte / Rodolphe de Rottembourg / capitaine de cavalerie / composées par Pierre Bucquet et gravées par Pierre Caillaux / se vend chez l’Auteur suivant la Cour / à Seville 1734. (sic)

[9] Excepté les sonates de Haendel et les duos de Kulhau. (sic)

[10] Articles de la critique la plus distinguée, qui, tant pour leur sujet que pour leur forme littéraire, méritent bien d’être rassemblés dans un livre. (sic)

Source: Music & Letters « Music for Two Flutes without Bass » April 1925, pp. 110-118 – Oxford University Press

Bibliothèque Nationale de France / Ressources numériques https://www.jstor.org/stable/726088

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