Lavignac – La Laurencie

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   L A   F L Û T E 

Par Paul TAFFANEL

Professeur au Conservatoire National

Et Louis FLEURY

AVANT – PROPOS

 

     La  mort est venue surprendre Paul TAFFANEL quelques mois après qu’il m’eut offert de collaborer avec lui pour la rédaction de cet article. Mme TAFFANEL et feu Albert LAVIGNAC m’ont chargé alors de l’honneur redoutable de mettre au point le travail de mon maître.

    La rédaction de l’article n’était pas commencée, mais j’ai eu entre les mains tous les documents, notes, références, que Paul TAFFANEL avaient accumulées durant toute une vie de recherches et de méditations sur un sujet qu’il rêvait de traiter à fond. Il est certain que si mon maître avait vécu, nous posséderions un ouvrage définitif, qui serait, pour notre époque, ce qui a été au XVIII° siècle l’admirable traité de Joachim QUANTZ.

     L’article qui va suivre a donc été entièrement rédigé par le signataire de ces lignes. Je tenais à le déclarer pour qu’on n’attribuât pas à Paul TAFFANEL ce qu’on pourra y trouver d’erreurs ou de faiblesses. Mais je n’en aurais jamais pu écrire une ligne si je n’avais bénéficié de la documentation de mon maître et, plus encore, de son enseignement incomparable. Si ce travail présente quelque intérêt, on voudra bien en reporter l’honneur sur le musicien éminent qui a été le plus grand flûtiste de son temps et un admirable éducateur. 

 

     La flûte est peut-être le plus ancien des instruments connus, et son origine remonte à la plus haute antiquité. Notre intention, toutefois est de limiter notre article à l’étude de la flûte moderne et de ses ancêtres directs et de laisser de côté tous les instruments désignés à tort ou à raison sous le nom de flûtes (il ne nous appartient pas de modifier ici des usages de plusieurs siècles) et qui, cependant, n’ont aucun rapport avec cet instrument, tel que nous le connaissons aujourd’hui. 

    Le mot flûte a été, en effet, employé de façon si large, qu’on désignait ainsi, dans l’antiquité, à peu près tous les instruments à vent. C’est ce que constate, en termes excellents, l’auteur d’un article paru dans le Magasin pittoresque (janvier 1868) : « Chez les anciens, dit-il, l’emploi des différentes embouchures est continuel, et ils appellent indistinctement « flûtes » des instruments que nous serions portés, d’après ce que nous croyons savoir de leur structure et de leur timbre, à classer, les uns parmi les flûtes proprement dites, les autres parmi les clarinettes, les autres parmi les hautbois et cors anglais, les autres parmi les bassons, d’autres même parmi les trompettes, sans attribuer toutefois à ce classement quelques chose d’absolu. »

     On conçoit qu’une étude approfondie de tous ces instruments dépasserait de beaucoup les bornes que nous nous sommes fixées, et, avouons-le, celle de notre compétence. Cette étude appartient aux savants spécialistes de ces époques disparues et, qu’il s’agisse de la flûte de Pan ou syringe, de la flûte phrygienne, de la flûte simple ou monaulos, de la flûte double ou de tous les instruments à vent employés sous le nom de flûte dans l’antiquité, nous devons nous borner à renvoyer le lecteur aux articles ayant trait à la musique dans l’antiquité grecque, égyptienne, etc.

     C’est pour cette même raison que nous aurions désiré de nous occuper ici que de la véritable « flûte » et mentionner seulement un autre instrument qui eut, sous ce nom, son heure de célébrité : nous voulons parler de la flûte à bec, connue également sous le nom de flûte douce ou flûte d’Angleterre. Mais certaines considérations importantes nous obligent à nous y arrêter plus longtemps que nous le souhaitions. 

     D’abord, nous sommes infiniment mieux renseignés sur cet instrument que sur les flûtes antiques. Ensuite, son usage était général à une époque relativement rapprochée de la nôtre (tout ce qui a été écrit par les compositeurs français ou italiens jusqu’au milieu du XVII° siècle l’a été pour la flûte à bec). Puis, le son de cet instrument se rapproche beaucoup de ce qu’il est convenu d’appeler « son de flûte ». Enfin, même après que l’emploi de la flûte traversière se fut généralisé en France, on continua à jouer de la flûte à bec, et c’est seulement après une longue lutte que la flûte traversière a définitivement vaincu sa rivale. 

    A vrai dire, la flûte à bec n’a pas complètement cessé d’exister. Un modèle réduit de cet instrument figure encore dans nos orchestres de bal : nous voulons parler du flageolet, qui est à la flûte à bec ce que le fifre est à la flûte traversière : un type extrêmement simple et en quelque sorte synthétique de l’instrument. C’est même par la description de ces deux instruments primitifs que nous parviendrons le mieux à donner une définition exacte et claire des deux types de flûte que nous nous proposons d’étudier. 

 

Note de l’auteur du site : nous n’avons pas reproduit les chapitres concernant  la flûte à bec et les flûtes baroques.  Nous nous intéressons directement au chapitre intitulé « la flûte actuelle » de l’époque de Louis Fleury. Nous en reproduisons quelques extraits significatifs du style et du témoignage de Louis Fleury. Vous pouvez cependant retrouver l’intégralité des pages concernant la flûte à bec et les flûtes traversières anciennes sur  IMSLP. (Dictionnaire Lavignac et La Laurencie Volume 8 pp. 1484 à 1504) 

 

 L A   F L Û T E   A C T U E L L E

 

     Nous désignons ainsi la flûte de système BOEHM. Enseignée au Conservatoire de Paris au moment où nous écrivons cet article (1925), et en usage dans tous les orchestres français, notamment dans les théâtres subventionnés et dans les grands orchestres symphoniques. Si certains artistes usent d’un instrument légèrement modifié, leur nombre est si infime que nous ne pouvons en tenir compte. Nous ferons mention de quelques unes de ces variantes à la fin de ce chapitre. 

 

(Description technique détaillée du système BOEHM à retrouver pp. 1503-1504)

 

 DIFFÉRENTS  TYPES  USITÉS  AUJOURD’HUI

 

     Ainsi que nous l’avons dit plus haut, la flûte BOEHM, d’argent ou de maillechort, que nous venons de décrire, est en usage aujourd’hui dans tous les orchestres français et belges, et enseignée dans tous les Conservatoires et Ecoles de musique des deux pays. On l’a adoptée également dans toutes les musiques régimentaires françaises. De plus, la grande réputation dont jouissent nos flûtistes à l’étranger a beaucoup servi à la faire adopter dans d’autres contrées. Un peu partout sur la surface du globe, on trouve des musiciens jouant de la flûte BOEHM en métal. 

     Chose curieuse : le pays le plus rebelle à l’adoption de ce type a été l’Allemagne, patrie de Th. BOEHM. Si la flûte BOEHM est jouée maintenant dans un grand nombre d’orchestres allemands, c’est depuis relativement fort peu de temps. Longtemps les musiciens allemands – encouragés d’ailleurs dans cette voie par des chefs d’orchestre et compositeurs et non des moindres, puisque WAGNER était du nombre – sont restés fidèles à l’ancien système. La flûte de métal n’y a pas encore pénétré, sauf rares exceptions. Le type généralement adopté est la flûte BOEHM à clef de sol# ouverte, en bois, et de perce conique. La plupart de ces flûtes sont munies de la patte de si grave, et quelque fois (plus rarement) de la patte de si bémol. 

    On trouve encore, dans les orchestres secondaires, et dans les petites villes, des flûtistes jouant sur des instruments d’anciens systèmes. Beaucoup se servent d’une tête d’ivoire, et ce système est généralement celui de la flûte à 8 clefs, avec adjonction de clefs de différentes sortes. 

     Les Russes, les Austro-Hongrois, les Suisses, tous les tributaires de l’Allemagne en ce qui concerne la musique, jouent généralement les flûtes en usage dans les orchestres allemands. Nous croyons savoir que la flûte BOEHM a été jusqu’ici, cependant, peu adoptée en Russie. 

     En Angleterre, le système BOEHM domine. Quelques artistes d’origine française ou belge ont essayé d’y implanter la flûte de métal, mais ils n’y ont pas réussi. Certains chefs d’orchestre, tel le Dr RICHTER, exigent formellement l’usage de la flûte en bois, seule en honneur dans tous les grands orchestres symphoniques et celui de Covent Garden. 

     Un autre système, dénommé « système RUDALL », est également usité en Angleterre. Il a été inventé par la maison RUDALL CARTE et Cie, la première qui ait fabriqué des flûtes du système BOEHM. C’est un compromis entre l’ancien et le nouveau système, que certains amateurs, ayant fait leurs premières études sur la flûte à 8 clefs, adoptent volontiers, parce qu’ils croient trouver moins de difficulté au changement de doigté.

       S. ROCKSTRO est également l’auteur d’un système de flûte qui porte son nom et dont il existe quelques exemplaires en Angleterre. Nous le mentionnons surtout par égard pour la personnalité de l’inventeur. 

     Dans les grands orchestres américains, il existe pas de règle absolue pour l’emploi de tel ou tel système. Les flûtistes, presque tous d’origine étrangère, jouent l’instrument de leur pays d’origine. Or, les chefs d’orchestre faisant de plus appel aux artistes français pour les pupitres de petite harmonie, la flûte BOEHM en métal s’implante de plus en plus là-bas.

     La flûte en bois est très usitée en Italie.

     De l’ancienne famille des flûtes graves, grâce auxquelles on pouvait exécuter ces fameux « concerts », dont nous parlons d’autre part, il ne reste pas grand-chose, au moins dans la pratique courante. Mais un instrument a pris dans l’orchestration moderne un rôle important : nous voulons parler de la petite flûte, autrement appelée piccolo ou, en italien, ottavino.   

    La petite flûte, comme son nom l’indique, est une réduction de la grande, mais construite sur les mêmes données, avec les mêmes proportions. Elle pourrait posséder 3 octaves si on n’avait pas supprimé, comme parfaitement inutile, la patte d’ut et ut# grave.

     On la fait généralement en bois, de préférence en grenadille, et de perce conique. 

 

(Description technique détaillée du piccolo (cf: p. 1506) 

 

     Viennent ensuite :

     La flûte en mib, dite flûte tierce, puisqu’accordée une tierce mineure plus haut que la flûte type. Son usage est des plus restreints. On peut même dire qu’elle est à peu près abandonnée. 

     La flûte alto en sib (également d’un usage très rare).

    Enfin la flûte basse en sol, dont on a vu la réapparition dans les orchestres depuis quelques années, et qui paraît vouloir redevenir d’un usage fréquent dans certains orchestres symphoniques (voir le chapitre de cet article consacré à l’emploi de la flûte dans l’orchestre). La construction de ces flûtes a soulevé quelques problèmes quant au système de correspondances, car l’écartement des trous est beaucoup plus grand que sur la flûte ordinaire. Ces difficultés ont été résolues. Le problème de la sonorité était plus difficile à résoudre. Jusqu’ici, seule l’octave grave donne un résultat satisfaisant. Nous ne nous attarderons pas davantage à la description d’un instrument qui est encore d’un usage exceptionnel, bien qu’il faille s’attendre, comme nous le disons plus haut, à le voir réapparaitre de plus en plus dans l’orchestration moderne. 

 

 LES  DÉFAUTS  DE  LA  FLÛTE  ACTUELLE

 

     La flûte, telle que nous venons de la décrire, est un instrument perfectionné. Ce n’est pas un instrument parfait ; mais nous croyons qu’elle approche aussi près que possible de la perfection, et, ainsi que le faisait remarquer fort justement Constant PIERRE dans des Notes d’un musicien sur les instruments à souffle humain (Rapport publié après l’Exposition Universelle de 1889) : « Depuis la découverte de BOEHM, il n’y a plus à toucher au principe de construction de la flûte. » 

     On y a malheureusement touché, et le plus grave inconvénient de la flûte actuelle, l’incertitude du mi bécarre3 (manque de clarté de certaines notes de la 3ème octave etc.) vient certainement de la modification apportée au système BOEHM par le retour à la clef de sol# fermée. Il ne faut pas espérer un retour à la clef de sol# ouverte, car les raisons qui y avaient fait renoncer en 1828 subsistent aujourd’hui.

     Mais, même pourvue de ce système BOEHM intégral, la flûte sera cependant un instrument faux. Nous avons dit pourquoi précédemment : l’étendue de trois octaves ne permet pas de percer les trous et même le tube d’une façon rigoureusement mathématique, et la flûte devient un instrument « à tempérament », comme le piano. Nous verrons plus tard que, plus heureux que le pianiste, le flûtiste peut modifier par une bonne insufflation l’intonation de chaque note, et qu’il peut ainsi, selon la gamme qu’il exécute, corriger à l’aide des lèvres ce que l’instrument présente de défectueux. Et si l’on a pu dire avec raison qu’il n’y avait pas de flûte juste, on peut dire également qu’un bon flûtiste n’a pas le droit de jouer faux. 

    En ce qui concerne la 3° octave, diverses tentatives, dont celle de DORUS, ont été faites. Nous ne saurions passer non plus sous silence les nombreuses et longues recherches du facteur français DJALMA JULLIOT pour l’amélioration générale de l’instrument.  Si nous ne pouvons le suivre dans toutes ses innovations, qui, si on les appliquait toutes à la fois, alourdiraient et compliqueraient singulièrement la flûte, on doit lui rendre justice pour la façon ingénieuse avec laquelle il a résolu le problème de la clef de sol# fermée ne compromettant pas l’émission de la 3ème octave. Grâce au dispositif qu’il a inventé, le plateau de l’annulaire de la main droite peut fermer le plateau de sol#, tout en laissant ouverte celui de la. Il en revient ainsi au système préconisé par BOEHM et améliore, en même temps le mi3, les mi1 et mi2, bas et cotonneux sur la flûte actuelle. 

     Les autres défauts de la flûte sont de ceux qu’on ne peut éviter. Malgré tout le soin apporté au choix de la matière première et à la mise au point du mécanisme, l’ensemble de clefs, tampons, ressorts, correspondances, reste assez fragile pour que le seul choc des doigts provoque de temps en temps des dérangements inévitables. Le système des correspondances est particulièrement délicat, et un plateau, qui, actionné directement, ferme le trou hermétiquement, peut très bien ne pas le fermer aussi bien sous l’action d’une clef correspondante éloignée. 

     De même, les tampons, fabriqués d’une matière fragile et molle, subissent tous rapidement l’usure, sont sensibles aux variations de température, et laissent trop souvent un interstice se produire, au grand dommage de la pureté du son. On n’a jusqu’ici trouvé aucun remède à cela ; mais on peut, jusqu’à un certain point, prévenir les accidents de ce genre en traitant son instrument avec soin et précaution. Il est bon qu’un flûtiste ne soit pas absolument ignorant de la structure de son instrument, et qu’il puisse, à la rigueur, s’il se trouve en voyage, y effectuer quelques menues réparations. 

    Enfin, nous ne saurions passer sous silence le grand tort causé à la musique par la hausse persistante du diapason. Les grands orchestres parisiens souffrent maintenant d’un mal qu’ils ont crée ou laissé inconsidérément se répandre, et l’on ne sait où s’arrêtera cette absurde pratique. Pour les instruments en général et la flûte en particulier, la hausse inconsidérée du diapason a des résultats désastreux. A l’heure actuelle (1925), il est à peu près impossible à un flûtiste de s’accorder avec les autres instruments de l’orchestre, s’il persiste à se servir de son instrument tel qu’il lui a été livré par le fabricant. Peu à peu, les flûtistes parisiens on été amenés à diminuer la longueur du tenon qui relie la tête au corps de la flûte. 

     Si le la initial est juste, les proportions de la flûte ayant été bouleversées par ce changement, les autres notes, principalement celles de la 3ème octave, sont moins justes et moins pures. Un flûtiste exercé et habile arrive, actuellement, par le secours des lèvres, à ramener quelque  justesse dans son exécution, mais il ne peut rendre à certaines notes leur pureté première. Le fa#3 et le si bécarre3 souffrent particulièrement de cet état de choses. 

 

 EMPLOI  DE  LA  FLÛTE

 

      Le rôle de la flûte est double. A l’orchestre, son importance est capitale, parce que son timbre ne se confond avec aucun autre. C’est aussi un instrument soliste. A ceux qui voudraient le confiner uniquement dans son rôle d’instrument d’orchestre, nous répondons par la longue liste de chefs-d’œuvre écrits pour la flûte solo ou pour la flûte instrument de musique de chambre. Nous examinerons tour à tour l’emploi de notre instrument dans l’une et l’autre catégorie. Mais, avant cela, nous devons noter quelques renseignements sur l’emploi de la flûte à une époque où il est bien difficile de distinguer ce qui sépare la musique de chambre de la musique d’orchestre.  

    Le plus ancien témoignage que nous avons pu trouver de l’emploi des flûtes est celui de Carloix, secrétaire du maréchal Vieilleville, qui, rendant compte de l’arrivée à Metz, en 1554, de madame de Vieilleville et de sa fille, madame d’Espinay, raconte en ces termes ce qu’il a entendu à un concert donné en leur honneur : « Avec cinq dessus et une basse-contre il avoit une espinette, ung joueur de luth, dessus de viole, et une fleute-traverse, que l’on appelle à grand tort fleute d’Allemand, car les François s’en aydent mieux et plus musicalement que toute autre nation, et jamais en Allemagne n’en fust jouée à quatre parties, comme il se fait ordinairement en France. » 

       Sans nous arrêter à d’autres considérations, nous pouvons conclure de ce qui précède que, déjà, il existait à cette époque et, vraisemblablement, depuis un certain temps, cette forme musicale des concerts de flûtes, dont l’usage se conservera très longtemps encore. Si, comme il est permis de. le supposer, le rôle des instruments au XVIème siècle était principalement de soutenir et de doubler les voix, il était tout naturel qu’on pensât à fabriquer des familles d’instruments correspondant à la division des voix. 

        De là à employer cette même famille d’instruments pour des intermèdes instrumentaux, il n’y avait qu’un pas. On signale un intermède de ce genre dans le Ballet comique de la Reyne en 1582 ; le P. MERSENNE, dans l’Harmonie universelle (1636), cite deux exemples de cette combinaison : un concert à 4 parties pour les flûtes à bec, et un air de cour à 4 parties, probablement pour flûte traversière. 

       Nous arrivons maintenant à une époque qui nous est mieux connue, et nous allons pouvoir fixer ici la division de ce chapitre de notre article en parties, dont la première sera consacrée à la Flûte instrument d’orchestre

       Si vagues que soient les indications des compositeurs pour la distribution des instruments dans la partition, nous avons pu démêler à peu près le rôle que jouaient les flûtes dans l’orchestre du XVIIème siècle. En général, la flûte, ou plutôt les flûtes ne sont employées à l’orchestre que pour renforcer les cordes (comme les autres instruments à vent, du reste).

        Si le compositeur désire cependant produire quelques contrastes par l’emploi de divers instruments à vent, il les classe en deux catégories, et les fait alterner par paquets. Les flûtes, alliées aux instruments de timbre doux, répondent aux instruments plus éclatants. Elles gardent dans tout ceci un certain anonymat. Les parties du Persée de LULLY (1682) nous donnent un excellent exemple de la manière de procéder du compositeur. Les parties de flûte et de hautbois sont sur la même ligne. Quand il n’y a pas d’indication, tous jouent (sauf dans les endroits où on se partage en grand et en petit chœur). Lorsqu’une seule catégorie d’instruments doit jouer, c’est indiqué Flûtes ou Hautbois, et après vient l’indication Tous.

     Peu importe, en ces conditions, le nombre d’exécutants pour chaque instrument. Puisqu’il ne s’agit pas de donner à l’orchestration une grande variété de couleur par l’emploi calculé d’instrument à timbre particulier, personnel, on utilise les musiciens qu’on a sous la main, et c’est ainsi que, lors de la mise en scène, au Théâtre de la Cour, en 1660, du Serse de CAVALLI, nous trouvons à l’orchestre neuf flûtes, contre 6 téorbes et 30 violons. 

       Mais la flûte prend bientôt une plus grande importance par le retour aux concerts de flûte, dont nous parlions au début de ce chapitre. ce retour à une forme musicale tout à fait oubliée, prend toute l’importance d’une nouveauté, et la première audition de concerts de ce genre soulève une surprise et un enthousiasme unanimes. 

       Saint-Evremond en signale un qu’il dit avoir entendu à la représentation de la Pastorale d’Issy de CAMBERT, en 1659, et il déclare que c’est le premier qui ait été exécuté depuis les Grecs et les Romains. Nous avons démontré plus haut qu’il fait erreur. Quoi qu’il en soit, ce concert de flûtes parait produire grande impression, car LULLY en fait entendre un dans son Ballet du Triomphe de l’Amour, représenté en 1681. Le prélude de l’Amour, dont nous donnons ici un fragment, est écrit à 4 parties pour taille, quinte, petite basse et grande basse de flûte. Cette dernière partie, chiffrée, sert de basse continue et parait devoir être doublée : [fragment premières mesures]

        À partir de ce moment, les flûtes prennent une réelle importance dans l’orchestre, et, dans nombre de partitions, on trouve des passages où elles sont tout à fait en dehors. Au 3ème acte de l’Opéra Atys, le Prélude pour le Sommeil contient un dialogue entre les violons et deux flutes à découvert. Au 4ème acte de ce même opéra, 3 flûtes, à découvert également, accompagnent un chœur de fleutes

       C’est l’époque de la lutte entre la flûte à bec et la flûte traversière. Ces deux instruments sont employés simultanément. On essaye de démêler leurs qualités respectives et on les utilise du mieux qu’on peut. La flûte à bec est, par excellence, l’instrument doux et pastoral. On reconnait à la flûte traversière plus de puissance, plus d’expression et de variété, et on lui confie les passages de pathétique tendre qui feront plus tard sa fortune, car elle y excelle. 

       La coexistence des deux instruments nous est donnée par l’examen de la partition d’Alcyone, de MARAIS (1705), et nous jugeons nettement les différences dans la façon de traiter les deux instruments. Les passages confiés à la flûte allemande sont assez en dehors, expressifs et doux. Ceux laissés à la flûte (il faut lire, évidemment, flûte à bec) sont également dans la douceur, mais dans la douceur seulement. 

        Aussi, voyons-nous, de plus en plus, la flûte traversière faire figure de soliste à l’orchestre. Dans l’opéra de LULLY Isis, la Plainte de Pan, au 3ème acte, est soutenue par la flûte, dont les accents prennent alors un caractère réellement pathétique. CAMPRA, dans le trio italien de son Carnaval de Venise (1699), emploie deux flûtes et la basse. 

     Nous pourrions multiplier les exemples de cet emploi des flûtes « à découvert », mais nous n’en trouverions pas de plus remarquables.

        Il est extrêmement rare que la flûte joue plus haut que la ou si ; le plus souvent, on l’emploie dans l’octave grave et la première moitié de la seconde octave. Citons encore LULLY dans la marche religieuse d’Alceste, où le timbre de la flûte doublant les violons dans sa première octave produit un effet saisissant.

        Mais c’est au XVIIIème siècle que la flûte brillera de son plus vif éclat ; nous trouverons, même dans la musique d’orchestre, des pages restées justement célèbres où la flute joue un rôle prépondérant. D’éminents virtuoses tels que BUFFARDIN, BLAVET, TAILLARD, en France, QUANTZ en Allemagne, ne dédaignent pas de jouer à l’orchestre, et les compositeurs ne manquent pas d’utiliser leur présence. Jusque là, nous n’avions que de courts passages où les flûtes se mettaient timidement en dehors, et les compositeurs leur confiaient toujours les mêmes effets de douceur plaintive ou de grâce pastorale. Au XVIIIème siècle, on commence à utiliser à l’orchestre les qualités brillantes de la flûte. On s’aperçoit que les bons flûtistes, plus que n’importe lesquels des membres de l’orchestre, triomphent aisément des difficultés techniques. Les gammes, les arpèges, les trilles, qu’ils exécutent avec une grande rapidité et sans effort apparent, appellent la comparaison avec le ramage des oiseaux. La flûte devient le Rossignol de l’orchestre et si, comme le déclare Ancelet dans ce passage de ses Observations sur la musique, elle « n’embrasse pas tous les genres et les caractères de musique, tels que sont les airs de Démons, de Furies, de Guerriers, de Tempêtes de Matelots« …, elle ne peut trouver un meilleur emploi que celui de Rossignol, principalement quand son ramage doit répondre aux roulades de la chanteuse. 

       HAENDEL écrit ainsi une page qu’on peut considérer comme le modèle du genre. Tout le monde connait l’air célèbre de l’Allegro e Pensiero, que tous les soprani légers ont popularisé dans toutes les langues. Il convient de dire, tout de suite, que cette page, et surtout dans la partie qui nous intéresse, ne compte pas au nombre des inspirations les plus élevées du maître. Il est permis, sans irrespect, de trouver un peu fastidieuse cette suite de traits qui pourraient être plutôt un exercice de chant qu’un air de concert. Mais la partie de flûte y est traitée de main de maître.

        Dans Hippolyte et Aricie (Vème acte), RAMEAU introduit un air de Rossignol (supprimé on ne sait pourquoi à la dernière reprise à l’Opéra) qui est bien une de ses plus charmantes inspirations. Là aussi, la voix et la flûte dialoguent, mais, heureusement, sans l’encombrant étalage de virtuosité de l’œuvre de HAENDEL. Ces deux airs ont suscité de nombreuses imitations, sur lesquelles nous aurons à revenir plus tard. On doit savoir gré à Rameau d’avoir su résister à la tentation de faire un air brillant, et d’avoir, tout en produisant le maximum d’effet, gardé le sens de la déclamation juste. 

          Mais c’est dans GLUCK que nous trouverons les plus frappants exemples de l’emploi judicieux de la flûte. GLUCK demande à la flûte tout ce qu’elle peut donner de force expressive et de pathétique. Il sait cependant que cette force a des limites, et s’il lui demande d’exprimer une plainte, il se souvient fort à propos que la flûte est seulement l’instrument des tendres plaintes. À cet égard, nulle page de musique de flûte ne convient mieux au caractère de l’instrument que l’admirable scène des Champs-Elysées, au 3ème acte d’Orphée. BERLIOZ, qui cite cette page en entier dans son Traité d’Orchestration, s’exprime en ces termes : « En entendant l’air pantomime en ré mineur qu’il a placé dans la scène des Champs-Elysées d’Orphée, on voit tout de suite qu’une flûte devait seule en faire entendre le chant. Un hautbois eût été top enfantin et sa voix n’eût pas semblé assez pure, le cor anglais est trop grave ; une clarinette aurait mieux convenu sans doute, mais certains sons eussent été trop forts, et aucune des notes les plus douces n’eût pu se réduire à la sonorité faible, effacée, voilée, du fa naturel du médium et du premier si bémol au-dessus des lignes, qui donnent tant de tristesse à la flûte dans ce ton de ré mineur où ils se présentent fréquemment. Enfin, ni le violon, ni l’alto, ni le violoncelle, traités en solo ou en masses, ne convenaient à ce gémissement mille fois sublime d’une ombre souffrante et désespérée ; il fallait précisément l’instrument choisi par l’auteur. Et la mélodie de GLUCK est conçue de telle sorte que la flûte se prête à tous les mouvements inquiets de cette douleur éternelle, encore empreinte de l’accent des passions de la terrestre vie. C’est d’abord une voix à peine perceptible qui semble craindre d’être entendue, puis elle gémit doucement, s’élève à l’accent du reproche, à celui de la douleur profonde, au cri d’un cœur déchiré d’incurables blessures, et retombe peu à peu à la plainte, au gémissement, au murmure chagrin d’une âme résignée…Quel poète !… »

        C’est encore GLUCK qui nous donne un des meilleurs exemples d’une combinaison de flûte dialoguant avec la voix, exemple d’autant plus frappant que c’est à une voix de ténor que s’allie l’instrument qu’on a coutume d’entendre rivaliser d’agilité avec le soprano. Nous voulons parler de ce délicieux air du sommeil de Renaud, au 2ème acte d’Armide. « Dans la scène au bord du fleuve enchanté, la délicieuse ritournelle de flûte colorée par le timbre frais du registre moyen, exprime la langueur voluptueuse dont l’âme du héros est envahie, au milieu des séductions que l’art de la magicienne a semées sous ses pas : la beauté du paysage, le parfum des fleurs, le ramage des oiseaux, l’ombrage épais, herbe molle. » (Gevaert, Traité d’Instrumentation.) 

       Enfin, GLUCK nous montre qu’il sait aussi utiliser les qualités gracieuses et enjouées de la flûte, et dans le même ouvrage, Armide, nous trouvons au ballet du 3ème acte cette délicieuse sicilienne accompagnée par de légers accords au quatuor, et qu’une note de l’auteur recommande de jouer avec beaucoup d’expression : [3 premières mesures du début de la sicilienne

       On remarquera que les compositeurs profitent au fur et à mesure, dès qu’ils se présentent, des perfectionnements apportés à l’instrument, notamment en ce qui concerne la tessiture. Les parties de flûte de Lully et de ses contemporains n’allaient jamais au delà de la deuxième octave. Dans la scène des Champs-Elysées, en plein solo, nous trouvons un fa 3ème octave. Mais le cas n’est pas fréquent. 

       Nous n’avons eu à nous occuper ici que de l’orchestre d’opéra. Une autre forme de musique surgit, qui nous retiendra fortement, la symphonie, où la flûte trouve encore à s’employer au premier rang. Nous choisirons nos exemples seulement chez les grands maîtres, pour ne pas alourdir notre travail, et nous commencerons par HAYDN, MOZART et BEETHOVEN. 

     Dès cette époque, l’orchestration prend une place importante, presque prépondérante, dans la science du compositeur. Celui-ci dispose d’un plus grand nombre d’instruments. Il cherche des effets nouveaux imprévus et variés. Il ne laisse plus rien au hasard et multiplie les combinaisons. On ne trouve donc plus que très rarement des soli de longue haleine dans la musique d’orchestre, mais, en revanche, les instruments à vent ne sont plus que très rarement employés comme doublures des cordes, et si leur rôle change, il n’en est pas moins intéressant, au contraire. 

       MOZART, dans ses symphonies, emploie le plus souvent une seule flûte. Dans ses opéras, au contraire, il écrit généralement pour deux. Il maintient presque toujours la flûte dans le registre moyen. Il n’y a rien de bien saillant à citer de lui dans ses symphonies, mais il fait de la flûte un emploi extrêmement saisissant dans le finale du 2ème acte de La Flûte Enchantée.

       Nous le retrouverons dans la seconde partie de ce chapitre, pour l’importante contribution qu’il a fournie à la littérature de flûte soliste

      HAYDN emploie, lui aussi, le plus souvent une seule flûte dans ses symphonies, et, comme MOZART, il la cantonne généralement dans le registre moyen. Nombreux sont les passages où il la laisse « en dehors ». Il lui confie des traits rapides, doublant le quatuor, comme dans la Symphonie en sol, de délicates broderies, comme dans la Symphonie à la Reine, ou encore un véritable solo, comme dans [l’] adagio de la symphonie très peu connue (en ré) qui porte le numéro 24. Là, la flûte a tout à fait le rôle d’un instrument concertiste. Elle garde la mélodie (fort belle) du commencement à la fin, et, même, un point d’orgue, placé quelques mesures avant la fin, exige absolument une cadence. 

      Nous retrouverons également HAYDN comme BEETHOVEN, d’ailleurs, dans la seconde partie de ce chapitre.

      BEETHOVEN, dans ses symphonies, écrit généralement deux parties de flûtes. Il ajoute même un piccolo au finale de la 7ème et à celui de la Symphonie avec chœurs. Il profite, lui aussi, des perfectionnements apportés à la flûte et de l’habileté technique des artistes de son temps pour élargir le domaine de l’instrument. Il écrit ses parties jusqu’au la 3ème octave, et ne craint pas de confier à la flûte des passages rapides d’une réelle difficulté. Il l’emploie avec un égal bonheur dans les différents caractères qu’elle peut emprunter. Pastorale et gracieuse dans le ballet de Prométhée, la flûte redevient « rossignol » dans l’Andante de la VIème Symphonie. Elle entonne presque un air de bravoure dans l’Ouverture n°3 de Leonore. Elle exécute un trait spirituel et périlleux dans le final de la Symphonie héroïque et devient pathétique dans l’adagio de la IXème (doublant le basson).

       Nous arrivons maintenant à la période la plus brillante de la flûte, ce qui, dans notre pensée, ne veut pas dire la meilleure ; l’instrument, imparfait encore, a été cependant très perfectionné. De grands virtuoses se sont fait connaitre : TULOU, DROUET, en France, NICHOLSON en Angleterre, FÛRSTENAU en Allemagne, exécutent dans les concerts leurs propres compositions où ils accumulent les difficultés et les casse-cou. Les compositeurs sont enclins, tout naturellement, à obéir à cette tendance, et, pendant une très longue période, ils ne confient plus guère à la flûte que des cascades. Il est juste d’ajouter que cette époque est également celle de la grande virtuosité vocale, qu’il n’y a pas d’opéra possible sans grand air pour la chanteuse, et que la flûte est toute désignée pour lutter d’agilité avec la cantatrice. L’exemple de HAENDEL porte ses fruits, et c’est par douzaines que nous pourrions citer les airs avec flûte obligée où la mélodie disparait sous les broderies ; lesquelles broderies disparaissent elles-mêmes sous ce que la fantaisie des interprètes y ajoute. La première manifestation de cette sorte d’art est le Rossignol de LEBRUN, totalement oublié aujourd’hui, donné pour la première fois à l’Opéra en 1816, avec Mme Albert Hymm comme principale interprète et TULOU comme flûtiste. En Angleterre, une mélodie avec accompagnement d’orchestre, Lo here the gentle larke de sir Henry BISHOP (1782-1855), obtient un succès qui ne s’est pas démenti encore. Et DONIZETTI écrira, un peu plus tard, l’air célèbre de la Folie de Lucia de Lamermoor, que toutes les cantatrices de théâtre, égarées au concert, ont répandu et répandent encore à travers le monde.

       Ne méprisons pas, toutefois, la virtuosité. Il est bon que le compositeur n’ait pas son inspiration limitée par la crainte d’écrire « trop difficile » ; d’autre part, il serait fâcheux de se priver des ressources immenses de la flûte comme instrument d’agilité. ROSSINI le comprend admirablement en confiant à la flûte les délicates broderies qui courent sur le motif du Ranz des Vaches dans l’ouverture de Guillaume Tell. Et nous trouverions chez les symphonistes des exemples plus frappants encore d’une bonne utilisation de la flûte « brillante ».

      MENDELSSOHN fait grand cas de la flûte, et il l’emploie avec toutes ses ressources. Nulle partition ne nous le démontre mieux que celle du Songe d’une nuit d’été. Dès les premières mesures de l’ouverture, il emploie les flûtes sous une forme absolument nouvelle en leur confiant ces accords dont WAGNER, plus tard, fera si grand usage, et qui donnent cette sensation d' »éthéré » qu’on ne pourrait attendre d’aucun instrument. Dans le nocturne, la flûte dialogue poétiquement avec le cor, et, dans le scherzo, elle émerge peu à peu de l’orchestre pour terminer seule cet étincelant morceau de virtuosité orchestrale. 

       Nous ne pouvons citer tout ce que nous ne trouvons de remarquable dans l’œuvre de MENDELSSOHN. Nul compositeur, à notre avis, n’a tiré un meilleur parti des ressources multiples de la flûte. Regrettons qu’il n’ait rien laissé pour flûte solo

       Rien de bien saillant à signaler chez les Romantiques. Nous ne trouvons dans la musique de SCHUBERT, de LISZT, de WEBER aucun solo marquant. Un court passage de la 1ère Symphonie de SCHUMANN mérite de retenir notre attention. SCHUMANN, qu’on ne peut cependant accuser de flatter le goût frivole de son temps, introduit dans le final de cette symphonie une cadence de flûte. Hâtons-nous de dire que cette cadence est plutôt un enchainement d’un motif à un autre, qu’elle est charmante et absolument dans l’esprit de l’œuvre qu’elle n’a ainsi aucun rapport avec le genre d’acrobatie qui sévissait dans la musique d’alors.

          Ce serait mal connaitre MEYERBEER, par contre, que de le croire capable de résister aux suggestions de la mode. Les Huguenots contiennent (au début du deuxième acte) l’inévitable cadence de la flûte que les exécutants ont accoutumé d’enrichir de ce que leur suggère leur propre inspiration. 

         Une utilisation beaucoup plus originale de la flûte a été faite par MEYERBEER au 2ème acte du Prophète. Il se sert là, avec beaucoup de bonheur, du registre grave. « Au-dessous des violons, dont les dessins en sourdine montent au ciel et ondulent comme des nuées d’encens, le timbre mystique des flûtes sonne comme les notes d’une trompette entendue au loin, tandis que le bruit assourdi des cymbales et de la grosse caisse évoque l’idée d’une cérémonie publique entourée de pompe et d’éclat » (Gevaert, Traité d’Instrumentation)

         BERLIOZ, si enthousiaste du solo de flûte d’Orphée, n’a cependant jamais rien confié de réellement pathétique à la flûte, tout au moins rien de grande envergure. Mais il a su utiliser à merveille son caractère pastoral, dans le délicieux trio des jeunes Ismaélites de la seconde partie de L’Enfance du Christ pour deux flûtes et harpe. Cette pièce d’un charmant archaïsme, extrêmement poétique dans l’andante, d’un naïf enjouement dans le petit trio à 2/4, est une des rares pièces instrumentales composées par Berlioz, et c’est, à proprement parler, un petit chef-d’œuvre.

         Avec WAGNER, le rôle de la flûte à l’orchestre change.  Il n’y a plus place (comme pour aucun instrument, d’ailleurs) pour des effets de virtuosité personnelle. Quand WAGNER emploie les flûtes autrement que pour faire masse dans la sonorité générale, il leur confie spécialement ce qui peut donner, comme nous le disions plus haut à propos de MENDELSSOHN, une sensation d' »éthéré ». Il est un des premiers qui aient écrit pour quatre flûtes (trois grandes et un piccolo). Il en est ainsi pour un grand nombre de ses ouvrages.

       Le wagnérisme ayant produit une réaction contre les effets de la virtuosité à l’orchestre, le rôle de la flûte, instrument soliste, s’est trouvé un peu diminué. Il lui reste cependant, au théâtre, une ressource : le ballet. C’est sous forme de musique de ballet que les compositeurs peuvent encore, sans trop se faire honnir, donner libre cours à leur inspiration, quand celle-ci est un peu légère. Nous trouvons dans la musique de ballet de ces dernières années de véritables soli de flûtes. Nous nous bornerons à en citer deux : la variation de l’Amour du ballet d’Ascanio de SAINT-SAÊNS et une variation du ballet de Namouna d’Ed. LALO.  Celle d’Ascanio utilise le double coup de langue. Celle de Namouna, qui prend place dans la suite d’orchestre tirée de ce ballet, est une page remarquable et souvent exécutée dans les concerts symphoniques. Le fragment de ce solo que nous reproduisons ici est extrêmement difficile : [extrait de la partition]. D’autres compositeurs modernes ont confié à la flûte un rôle important dans l’orchestre ; nous ne pouvons songer à les citer tous, et nous nous bornerons à quelques exemples caractéristiques. Dans le domaine expressif, il nous semble que BIZET et DEBUSSY ont atteint au maximum de l’effet ou de l’émotion ; le premier, avec ce délicieux menuet de La Jolie Fille de Perth, intercalé depuis dans la seconde suite d’orchestre de l’Arlésienne. Et plus encore peut-être avec l’émouvant morceau en forme de sicilienne qui souligne la rencontre de Balthazar et de la Renaude dans l’Arlésienne, et où l’emploi des deux flûtes est particulièrement heureux. Le second, dans cette page admirable, qui suffirait à elle seule à lui assurer l’immortalité et qui restera peut-être comme l’œuvre la plus caractéristique de son génie : Le Prélude à l’aprèsmidi d’un Faune

        En ce qui concerne la flûte agile, la flûte brillante à l’ancienne mode, c’est chez les Russes, grands virtuoses eux-mêmes de l’orchestre, que nous trouverons les plus frappants exemples de ce retour à la virtuosité. Dans l’ouverture de La Grande Pâque Russe, dans le Capriccio espagnol, RIMSKY-KORSAKOFF ne craint pas de revenir aux grandes cadences de l’opéra italien, – telles que les pratiquaient DONIZETTI et ses prédécesseurs ou contemporains.

         Notons, pour terminer, un retour de faveur de l’alliance de la flûte et de la voix. Le morceau de soprano avec flûte obligée a régné durant une longue période, de HAENDEL à DONIZETTI (voir plus haut), mais paraissait à peu près abandonné. Il a subi un retour de faveur depuis quelque vingt-cinq ans. Toutefois, les compositeurs qui en ont fait usage ont plutôt recherché le caractère expressif que la virtuosité. On peut citer, dans cet ordre d’idées, la remarquable mélodie de M. Georges HÛE : Soir Païen, qui pourrait bien être le modèle du genre, et qui paraît avoir incité d’autres compositeurs à entrer dans la même voie. Bien mieux, voici qu’apparaissent en nombre respectable des mélodies pour voix et flûtes seules. Le premier compositeur qui ait fait usage de cette combinaison, M. Cyril SCOTT, avec une Idyllic Fantasy pour soprano et flûte. MM. Albert ROUSSEL, CAPLET, ROLAND-MANUEL, J. IBERT viennent de faire paraitre une série de mélodies pour la même combinaison, évidemment de ressources limitées, mais très agréables.

La petite flûte dans l’orchestration :     

    Dès le XVIIIème siècle, les compositeurs ont employé le piccolo dans l’orchestre. Ils l’ont généralement fait avec bon sens, ne demandant à la petite flûte que ce qu’elle pouvait donner, c’est-à-dire les sons stridents de son octave aiguë. Un exemple excellent de cet emploi est celui de l’ouverture d’Iphigénie en Tauride de Gluck. On en trouve un autre plus caractéristique encore dans l’ouverture de Timoléon de Méhul. « Son intervention dans l’orchestre dramatique, dit Gevaert, a pour but principal de reproduire des sensations externes et particulièrement des bruits stridents : soit les sifflements de la tempête, soit les vociférations d’une horde barbare, soit les éclats d’une joie infernale. » Aussi, la voit-on dans plusieurs scènes d’orage (Symphonie pastorale, ouverture de Guillaume Tell, etc.), dans des scènes de joie sauvage (Danse des Scythes, de Gluck). Beethoven encore en fait un usage excellent dans l’ouverture d’Egmont. Les derniers accords du final sont renforcés par le sifflement strident de la petite flûte, et leur énergie en serait singulièrement diminuée s’il n’y avait pas l’apport de ce coup de fouet extrêmement violent. De même, Berlioz ne craint pas de confier à la petite flûte une tenue sur le la 3ème octave à l’accord final de la Marche Hongroise de la Damnation de Faust. Mais il ne se borne pas à ces effets de force, et utilise à merveille la sonorité de deux ou trois petites flûtes dans la Danse des Sylphes. L’impression diabolique qui se dégage de cette curieuse combinaison de timbres atteint son maximum d’effet au « c » barré suivant (déformation de la Chanson de Méphisto). 

       Wagner fait un large usage de la petite flûte (incantation du feu, et surtout la chevauchée des Walkyries), mais toujours pour ces effets spéciaux.

        Le piccolo peut rendre les plus grands services dans l’orchestre, lorsqu’il s’emploie à la seconde octave pour des effets que la 3ème octave de la flûte rendrait avec difficulté. Le meilleur exemple de cet emploi judicieux de la petite flûte est peut-être le final de la Vème Symphonie de Beethoven, lorsque le trille persistant sur le sol est exécuté avec la plus grande aisance par la petite flûte, alors que la grande flûte, avec son mauvais trille sol-la 3ème octave, ne pourrait donner qu’une sonorité extrêmement défectueuse.

        De nos jours, les compositeurs, à la recherche de sonorités rares, ont tendance à se servir du timbre mat et blanc de la première octave du piccolo pour des effets spéciaux. De même, emploient-ils volontiers les sons harmoniques de la contrebasse. On ne peut qu’applaudir à ces subtilités, à condition qu’elles ne deviennent pas une règle.

         La petite flûte a fait même son apparition dans « l’orchestre de chambre ». Dans ce curieux Pierrot Lunaire qui a fait couler tant d’encre, Schœnberg use largement du piccolo, qu’il fait alterner avec la grande flûte, la partie devant être jouée par le même instrumentiste. Là encore, dernier reflet d’un romantisme qu’il prétend ridiculiser, la petite flûte est surtout employée pour des effets diaboliques.  

        Après une disparition de près de deux siècles, on voit réapparaitre à l’orchestre quelques membres de la famille des flûtes qu’on croyait à jamais disparus. Nous avons fait mention ailleurs des basses de flûtes à bec et basses de flûtes traversières décrites par Mersenne et autres. Nous n’avions jamais rencontré de traces de l’emploi de flûtes basses depuis les concerts de flûte de la fin du XVIIème siècle. Les Russes paraissent vouloir utiliser à nouveau cet instrument. Rimsky-Korsakoff se sert d’une flûte en sol dans son ballet Mlada. Ravel, dans Daphnis et Chloé, s’en sert aussi. Stravinsky l’emploie également et lui confie une partie extrêmement importante dans sa Symphonie pour Instruments à vent (dédiée à la mémoire de Debussy). Il est possible qu’on ait à se louer de cette rénovation, mais il conviendra, croyons-nous, de s’en servir avec tact. Seule, l’octave grave de la flûte basse possède une belle sonorité. Quand elle se confond avec l’octave grave de la flûte en ut, elle lui est très inférieure, et son octave aiguë est insupportable.  

 

LA  FLÛTE  DANS  LA  MUSIQUE  DE  CHAMBRE

 

     C’est une opinion très répandue que la flûte ne peut guère sortir de son rôle d’instrument d’orchestre, parce qu’elle manque de répertoire. 

     Il y a là une profonde erreur que nous pourrons détruire par ce seul exemple : le distingué flûtiste de la Chapelle royale et de l’Opéra de Berlin, M. Emil PRILL, a publié, il y a quelques années, une sorte de catalogue général de la musique de flûte. On y trouve environ « 7500 » (sept mille cinq cents) titres de morceaux de flûte, avec ou sans accompagnement de piano ou d’orchestre, ou en combinaison avec d’autres instruments. Hâtons-nous de dire qu’on n’y trouve pas 7500 chefs-d’oeuvre ! Par contre, le catalogue est loin d’être complet.

    La vérité est qu’on a beaucoup écrit pour la flûte et que, de tous les instruments à vent, c’est de beaucoup celui qui l’emporte par l’étendue et l’intérêt du répertoire.  

     Naturellement, ce sont les flûtistes eux-même qui ont fourni la plus grande part de cette littérature. On trouvera quelques renseignements et appréciations sur leurs œuvres dans  le chapitre de cet article consacré à la biographie des flûtistes célèbres. Il n’en faut pas faire fi. A défaut d’autres mérites, ces oeuvres de virtuoses auraient au moins celui d’être bien écrites pour l’instrument, et l’on trouve dans la production du XVIIIème siècle, plus spécialement, nombre d’œuvres de valeur écrites par de simples flûtistes. LA BARRE, LAVAUX, BOISMORTIER, NAUDOT, LOEILLET, BLAVET, SCHICKARD, QUANTZ, FREDERIC LE GRAND, ont laissé d’innombrables cahiers de sonates, concertos, morceaux d’ensemble, qui ne le cèdent en rien aux productions des violonistes ou violistes de la même époque. La plupart de ces oeuvres dorment sous la poussière des bibliothèques. Un grand nombre sont restées manuscrites, et celles qui sont gravées, écrites pour la plupart avec accompagnement de basse continue, ne sont pas réalisées. 

     Il suffit toutefois de jeter les yeux sur un cahier de sonates de BLAVET ou de LA BARRE, par exemple, pour constater que ces éminents flûtistes étaient des compositeurs de valeur, dignes d’être mis au rang des LECLAIR L’Aîné, des MARAIS, des REBEL, des FRANCŒUR et autres petits maîtres du XVIIIème siècle. 

     Nous l’avons déjà dit d’autre part, le XVIIIème siècle reste l’époque glorieuse de la flûte ; nous en avons donné la raison principale : l’engouement de la haute aristocratie pour cet instrument, et la nécessité où se trouvaient les compositeurs et les flûtistes, de fournir de la musique à la curiosité de leurs élèves. En outre, le timbre de la flûte convenait admirablement à l’art délicat, sensible, et souvent pastoral, de cette époque. Sa douceur en faisait l’instrument idéal de la musique de chambre. Aussi, les morceaux d’ensemble où la flûte joue un rôle prépondérant, les sonates, suites, recueils de petits airs et brunettes pour une ou deux flûtes traversières, avec ou sans basse, sont innombrables. 

     Ces sonates sont fréquemment mêlées de pièces d’un caractère plus fantaisiste (voir plus loin : Grands virtuoses ). Les suites comportent généralement des airs de danse : sarabandes, courantes, gigues, menuets, rondos, etc. Il y aurait évidemment à faire un choix dans cette énorme production, mais on aurait grand tort de ne pas remettre au jour nombre d’œuvres intéressantes de cette période. En outre, les recherches qu’on entreprendrait, feraient découvrir sans doute des oeuvres inconnues de véritables grands maitres. Celles qui ont été déjà publiées suffisent à nous prouver qu’il n’est pas un maître du XVIIIème siècle qui n’ait écrit pour la flûte quelque oeuvre importante. Pour ne pas nous répéter inutilement, nous renvoyons le lecteur au chapitre biographique pour tout ce qui concerne les œuvres de virtuoses, et nous ne mentionnons ici que ce qui nous paraîtra digne d’intérêt dans la musique des maîtres.

     Il faut placer au premier rang Jean-Sébastien BACH qui, très probablement sous l’influence de FREDERIC LE GRAND, a beaucoup écrit pour la flûte. Non seulement, son œuvre prend une place considérable dans la littérature spéciale de l’instrument, mais elle occupe un rang élevé dans l’ensemble de ses compositions. BACH s’est servi de la flûte pour toutes les formes de compositions : sonates, concertos, musique de chambre, accompagnement des voix, etc. Nous connaissons principalement de lui : 

Trois sonates pour flûte et clavecin,

Trois sonates pour flûte et basse,

Une sonate pour deux flûtes et basse (transformée plus tard en sonate de viole de gambe),

Une sonate à trois (sol majeur) pour flûte, violon et basse.

Une autre, en ut mineur, qui fait partie de l’Offrande musicale, bâtie tout entière sur le thème imposé par FRÉDÉRIC, véritable chef-d’oeuvre, d’une prodigieuse habileté d’écriture, et dont l’andante est certainement parmi les pages les plus émouvantes de BACH.

Une sonate pour flûte et basse, qu’on n’a pas osé attribuer sûrement à BACH et qui pourrait être d’un de ses fils, mériterait de prendre place à côté des autres.

     Mentionnons encore les Concertos Brandebourgeois, où la flûte tient un rôle important : celui en fa pour violon, flûte, hautbois et trompette, celui en pour flûte, violon et cembalo, le concerto pour violon et 2 flûtes principales, le concerto en la mineur pour flûte, violon et clavecin, la suite en si mineur, etc. Rien de tout ceci qui ne soit digne de la plume de BACH. 

     HAENDEL a également écrit pour la flûte. On a publié de lui, jusqu’ici, sept sur dix de ses sonates pour flûte et basse et ses trios pour flûte, violon et basse. De ses sonates, qui font partie d’une série contenant également des sonates pour hautbois et pour violon, il existe des versions différentes, des arrangements, des transpositions, des emprunts de morceaux d’une à l’autre, qui prouvent que l’auteur n’attachait pas à tout cela une importance exagérée. Certaines sont fort belles, notamment celle en mi mineur et en sol majeur. 

De Benedetto MARCELLO, MARTUCCI a remis au jour et réalisé quatre sonates pour flûte et basse extrêmement intéressantes.

     LECLAIR l’Aîné a laissé plusieurs sonates pour flûte et basse, et nous pourrions citer une foule de pièces de musique de chambre où la flûte tenait une partie importante, si nous n’avions le souci d’éviter les longueurs. Encore ne mentionnons-nous que pour mémoire les nombreuses cantates, religieuses ou profanes (plus de quarante), où la flûte joue un rôle important. Dans certaines d’entre elles, le rôle dévolu à la flûte est celui d’un soliste, telle la première partie de la cantate italienne Non sa che sa dolore, en réalité un mouvement de concerto. 

     Mentionnons encore les pièces en concert de RAMEAU, écrites primitivement pour 3 instruments : flûte ou violon, viole de gambe et clavecin. Elles sont d’ailleurs extrêmement populaires. 

     MOZART détestait la flûte, dit-on ; cependant, il a écrit pour elle deux concertos (sol maj. et  maj) avec orchestre et un andante également avec orchestre.  Nous avons de lui aussi un concerto pour flûte, harpe et orchestre, écrit à l’intention d’une de ses élèves et de son père le Duc de Guines. Ces quatre œuvres sont remarquables, et les deux premières fréquemment exécutées. Il n’en est pas de même des deux quatuors en et en la pour flûte, violon, alto et violoncelle, si rarement entendus dans les concerts, on ne sait pourquoi. L’andante du premier, joué par la flûte accompagnée en pizzicato par les cordes, est une pure merveille, et le menuet du second, d’une si délicieuse bonhomie, mérite bien cette humoristique appréciation que nous avons entendu formuler par un maître : «  Cette musique-là guérirait tous les neurasthéniques. »

     HAYDN a laissé quelques trios pour piano, flûte et violoncelle, et une sonate en sol majeur pour flûte et piano, que les éditeurs, pour les besoins de la vente, ont souvent présentée comme une sonate de violon. HAYDN lui-même en a laissé une version pour quatuor à cordes. En outre, il existe ou il a existé le manuscrit de 2 concertos pour flûte et orchestre. Malheureusement, ils ont été égarés, brûlés peut-être dans l’incendie de la Bibliothèque du prince Esterhazy, et, malgré d’opiniâtres recherches, on n’a pu jusqu’ici les retrouver.

     On nous a signalé dernièrement des quatuors (avec flûte) de GOSSEC, et nous ne mentionnons pas nombre d’œuvres du même genre, pour ne nous en tenir qu’aux œuvres des plus grands maîtres. 

     Nous arrivons ainsi à BEETHOVEN. La Sérénade en ré, pour flûte, violon et alto est de beaucoup ce qu’il a laissé de plus intéressant à notre point de vue. On reste stupéfié du parti que l’auteur a su tirer d’une semblable combinaison d’instruments. Malgré la quasi absence de basse (l’alto y est en effet l’instrument le pus grave), l’œuvre comporte tous les caractères de la musique, avec son entracte si spirituel, son menuet à variations, si élégant, et son adagio réellement pathétique. L’œuvre est fréquemment exécutée. Au contraire, on ne joue jamais les variations sur les airs nationaux pour flûte et piano ; on pourrait croire qu’il s’agit là d’une œuvre de jeunesse, alors que ces suites de morceaux datent au contraire de la maturité de BEETHOVEN. Vraisemblablement écrites sur commande, et dans le seul but d’en tirer un peu d’argent, ces variations seraient assez insignifiantes si, de temps en temps, un accord imprévu, une variation plus originale ne portaient la griffe du lion.

     Mentionnons par curiosité un petit duetto en deux mouvements pour deux flûtes sans accompagnement, écrit par BEETHOVEN en 1792, et dont le manuscrit est entre les mains du Docteur Prieger, de Bonn, et une sonate (dont l’authenticité est contestée) et qui nous parait, au contraire, contenir en germe, malgré de caractéristiques maladresses, un certain nombre de thèmes sur lesquels BEETHOVEN déploiera plus tard son génie. 

     Avec le XIXème siècle commence une ère de décadence pour la flûte, décadence qui lui vient de son prodigieux succès. C’est l’époque de la grande virtuosité. TULOU, DROUET, BERBIGUIER, FÜRSTENAU, NICHOLSON et tant d’autres font carrière de virtuose, et leur réputation est si grande qu’elle n’est éclipsée par celle d’aucun violoniste ou pianiste. 

     Un solo de flûte est une attraction courante dans un concert ; des sociétés de concerts symphoniques se sont fondées un peu partout, et les virtuoses de la flûte trouvent fréquemment l’occasion de jouer avec accompagnement d’orchestre. Or, le répertoire de « concertos » dus à la plume des maîtres étant assez pauvre, les flûtistes jouent volontiers leurs propres œuvres. Malheureusement, ils ne savent pas conserver à la flûte le caractère qui lui est propre, et ils ne craignent pas d’écrire, pour cet instrument délicat, des pages d’allure pompeuse et emphatique qui lui conviennent aussi peu que possible. Alors que MOZART avait limité au quatuor, renforcé de quelques bois, l’orchestration de ses concertos, les virtuoses compositeurs du XIXème siècle ne craignent pas de faire entrer la flûte en lutte avec la grosse harmonie.

     On cherche le brio, la puissance du son. NICHOLSON ne se contente même pas de l’instrument qu’il possède. Il en fait agrandir l’embouchure et les trous pour obtenir un son plus puissant. C’est à proprement parler la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf. Seul de son époque, peut-être, KULHAU écrit pour la flûte dans l’esprit qui lui convient. Sa récompense est que, seuls aussi, ses compositions ont résisté à l’injure du temps. On ne saurait cependant refuser à TULOU de réelles qualités de compositeur, et ses solos écrits pour les concours du Conservatoire restent d’excellents morceaux d’étude ; mais qui oserait maintenant les mettre au programme d’un concert, et que reste-t-il de ce fatras de morceaux brillants, fantaisies sur des airs d’opéras, airs variés, pot-pourris, que nous devons à sa plume trop féconde et à celle de ses émules ou rivaux ? Pas grand’chose. En revanche, les innombrables séries d’études qu’on laissées ces maîtres donnent à la flûte une des plus riches littératures d’enseignement musical qui soient. Nous les avons mentionnées dans la partie biographique de notre article. 

     Cette prétention des virtuoses du XIXème siècle de faire de la flûte un instrument de grande allure et de grand fracas a eu un résultat extrêmement fâcheux : les véritables maîtres ont délaissé l’instrument. Rien de ce qu’ils auraient pu écrire n’aurait satisfait sans doute leurs interprètes ; les flûtistes cherchaient avant tout à placer leurs propres élucubrations, et nous ne possédons rien, comme musique de flûte, des maîtres qui en faisaient le plus judicieux emploi dans l’orchestre, MENDELSSOHN entre autres. Nous devons toutefois à SCHUBERT de charmantes et difficiles variations sur un thème original. HUMMEL nous a laissé quelques sonates, et il nous faut ensuite aller jusqu’à REINECKE, mort récemment, pour trouver une oeuvre de flûte de réelle importance. La sonate intitulée Undine est, en effet, une œuvre de grand mérite, et qui convient admirablement à l’instrument. 

     On nous a signalé de WEBER des variations que nous n’avons jamais retrouvées, et ni SCHUMANN, ni BRAHMS, ni tant d’autres, dont nous aurions été heureux de posséder quelque chose, n’ont laissé une ligne de musique pour flûte. 

     Il n’est pas […] jusqu’à la musique de chambre, où la flûte jouait un rôle si important au XVIIIème siècle, qui n’ait subi le contre-coup de ce dédain. Depuis la Sérénade de BEETHOVEN, nous n’avons plus rien à signaler de digne d’intérêt pour les combinaisons de flûte et cordes, à la seule exception d’un trio bien connu de WEBER pour flûte, violoncelle et piano. Encore cette œuvre ne compte-t-elle pas, dans l’esprit des amateurs d’aujourd’hui, parmi les meilleurs de WEBER. Elle contient cependant de rares beautés.

     Fort heureusement, une réaction s’est produite de nos jours ; la flûte, qui paraissait un peu délaissée comme instrument soliste, a repris une partie de son ancien prestige, grâce au talent et à l’activité de quelques virtuoses, principalement en France. Le retour en faveur de la musique des XVIIème et XVIIIème siècles a nécessité la réapparition de la flûte sur tous les programmes de musique ancienne. Les compositeurs, auxquels on ne demandait plus de concessions à la virtuosité pure, ont tous, plus ou moins, contribué à enrichir notre répertoire. Nous ne croyons pas devoir donner un grand nombre de noms, parce que nous ne voulons pas faire de notre travail un article d’actualité ; nous pourrions en citer beaucoup. Une excellente initiative de TH. DUBOIS, alors qu’il présidait aux destinées de notre Conservatoire, n’a pas peu contribué à cette renaissance. Chaque année, le morceau de concours de fin d’exercice est commandé à un compositeur nouveau. Il arrive que le morceau n’est pas un « morceau de concours » idéal, mais le répertoire s’est enrichi ainsi de quelques œuvres intéressantes, dont certaines ne disparaîtront pas de sitôt. 

     On écrit mieux pour la flûte. On utilise certainement ses ressources de virtuosité, mais on ne la cantonne plus dans les traits et les variations, et l’on tire grand parti de son beau registre grave, en accord en cela avec la bonne tradition du XVIIIème siècle. 

     Une autre forme de musique a beaucoup aidé la flûte à reconquérir son ancienne vogue : la musique de chambre pour instruments à vent. Des sociétés se sont fondées (la première en 1879, sur l’initiative de P. TAFFANEL) pour l’exécution de ce répertoire spécial. Les classiques avaient laissé quelques œuvres pour instruments à vent, qui, chose curieuse, ne comportaient généralement pas de partie de flûte. Pour former un véritable répertoire, les artistes ont fait appel aux compositeurs, et nous avons maintenant une littérature de musique pour instrument à vent, avec ou sans piano, assez nombreuse, très variée et d’un intérêt indéniable. La flûte y joue un rôle important, et c’est un répertoire qui s’enrichit chaque jour. 

     On nous permettra de mentionner, à ce sujet, que la Société Moderne d’Instruments à vent (fondée en 1895 par GEORGES BARRÈRE) a donné, depuis cette date, plus de cent trente œuvres en première audition. La plupart comportent une partie de flûte. 

LES GRANDS VIRTUOSES  DE LA FLÛTE

Flûtistes des écoles françaises allemandes anglaises des XVIII et XIXIème siècles cf pp.1516 à 1522 

Époque actuelle 

     A l’heure où nous corrigeons les épreuves de cette étude, il nous parait intéressant de dresser une liste, forcément incomplète, des flûtistes occupant dans leurs pays respectifs des postes officiels. Les historiographes futurs de la flûte nous sauront gré de cette attention. Pour ne pas surcharger notre travail, nous nous bornons à cette simple énumération des flûtistes les plus connus :

Paris, Professeur au Conservatoire : M. Ph. GAUBERT.

Société des Concerts du Conservatoire : M. MOYSE.

Concerts Colonne : G. BLANQUART.

Concerts Lamoureux : J. BOULZE.

Concerts Pasdeloup : CRUNELLE.

Société Moderne d’Instruments à Vent : Louis FLEURY.

Société des Instruments à Vent : Ph. GAUBERT, R. LE ROY.

Opéra : J. BOULZE.

Opéra-Comique : E. PORTRÉ-MOYSE.

Londres. Philharmonic Society A. FRANSELLA.

New Queen’s Hall orchestra : R. MULCHIE.

London symphony orchestra : D. -S. WOOD

Bruxelles, Professeur au Conservatoire : DE MONT.

Vienne, VAN LEER Opéra et Philharmonique. 

Wiener symphonie : SCHŒNFELD 

Rome. Prof. À l’Accademie Sainte-Cécile : VEGGIETTI 

Berlin, Soliste à l’Opéra : Emil PRILL

New-York, Damrosh Orchestra : G. BARRERE.

Boston, Boston Symphony Orchestra : G. LAURENT

Chicago, Thomas Orchestra : QUENSEL

Cincinnati, Symphony Orchestra : Ary VAN LEEUWEN 

Monte-Carlo, Concerts Symphoniques : D. MAQUARRE

 

 

 LA BIBLIOTHÈQUE DU FLÛTISTE

 

     Un catalogue dressé par le professeur PRILL, de BERLIN, il y a quelque trente ans, sorte de compilation des catalogues et prospectus d’éditeurs, prétendait offrir à l’amateur flûtiste le relevé complet de ce qui existait comme musique de flûte, et ceci aboutissait à une liste d’environ 7500 morceaux. Cet intéressant travail pêchait par quelques omissions regrettables, et, surtout par un excès de richesses, car la plupart des œuvres mentionnées ne méritent aucune attention. Il est plus malaisé de dresser une liste des œuvres indispensables que tout flûtiste doit posséder.

Nous essaierons de le faire, en nous en tenant au strict nécessaire.

 

Méthodes : 

TAFFANEL-GAUBERT (méthode avant tout destinée aux études supérieures)

DEVIENNE (pour les débutants) 

Mentionnons les méthodes ALTES, KOEHLER, PRILL, BROOK

 

Études :

18 Exercices de BERBIGUIER

24 Études de DROUET

100 Études de DROUET-TAFFANEL

24 Caprices (dédiés aux amateurs) de BOEHM

12 Études de BOEHM

6 Grandes Études de CAMUS

25 Etudes (Extraites de la Méthode) de SOUSSMAN

Toutes les Etudes (Op.15, 21, 30, 33, 37, 41, 60, 63) d’ANDERSEN

12 Études (avec acc. de piano) de Pierre CAMUS

 

 Morceaux d’Étude pour flûte et piano : Quelles que soient nos préférences musicales, nous ne pouvons négliger les oeuvres de flûtistes dont l’étude peut être très profitable à l’élève, sans qu’il songe plus tard à les exécuter en public. Cette observation ne s’applique pas à Fr. KULHAU, dont toutes les œuvres méritent d’être jouées. Les trois solos (op. 57) sont à la base de l’enseignement de la flûte.

 TULOU Solos (principalement le 5ème, le 7ème et le 13ème)

               Concertos

LINDPAINTNER Concerto pathétique

DEMERSSEMAN Solos (principalement le 2ème et le 6ème)

BOEHM Trois Airs variés (principalement les Variations sur une Valse de Schubert)

ANDERSEN  Concerstück (op.3) 

                        Fantaisie caractéristique (op.16) 

                       Ballade et Danse des Sylphes (op.5) 

LANGER Concerto en sol mineur

Classiques pour flûte et piano :

 

BACH J. S. 6 Sonates

HAENDEL G. F. 7 Sonates

HAYDN Sonate en sol majeur

BLAVET (Michel) 6 Sonates (principalement les N°1 et 4)

MARCELLO B. 4 Sonates

HUMMEL Sonate en la majeur

MOZART  Concerto en ré majeur (piano réduction d’orchestre) 

                    Concerto en sol majeur (piano réduction d’orchestre)

                    Andante en ut majeur (piano réduction d’orchestre)

SCHUBERT Introduction et variations

QUANTZ (J.) Sonates

                        Concerto en sol majeur

MATTHESON Sonates

STANLEY J. Sonate

LŒILLET J. B. Sonates 

 

Classiques pour flûte et instruments divers :

J. S. BACH Suite en si mineur (flûte et cordes)

                    Sonate en sol majeur (flûte, violon, piano)

                    Sonate en ut mineur (flûte, violon, piano)

                    Sonate en sol majeur (2 flûtes et piano)

                    Concertos Brandebourgeois (2, 5)

                    Concerto à 2 flûtes et violon 

                    Concerto en la mineur (flûte, violon, cembalo)

HAENDEL G. F. Sonate en ut mineur (flûte, violon, piano)

HAYDN Trios (flûte,violoncelle et piano) 

RAMEAU J. PH. Pièces en concert (flûte, viole de gambe, piano)

GLUCK Scène des Champs-Elysées (Orphée) (flûte et cordes)

MOZART Quatuors en ré et en la (flûte et cordes)

BEETHOVEN Sérénade (flûte, violon et alto)

WEBER Trio (flûte, violoncelle et piano)

 

Oeuvres modernes pour lesquelles nous avons adopté le classement alphabétique :

 

AUBERT (L.) Introduction et Allegro (flûte et piano)

                        Madrigal (flûte et piano)  

BENOÎT (Peter) Poème symphonique (flûte et piano ou orchestre)

BERLIOZ Divertissement des Jeunes Ismaélites (2 flûtes et harpe)

BORDES (Ch.) Suite basque (flûte et quatuor à cordes) 

BRÉVILLE (P. de) Une Flûte dans les vergers (flûte et piano)  

BÜSSER (H.) Prélude et Scherzo (flûte et piano)  

CAMUS (Pierre) Chanson et Badinerie (flûte et piano)  

CAPLET (A.) Rêverie, Petite Valse (flûte et piano)  

CASELLA (A.) Barcarolle et Scherzo (flûte et piano)  

                          Sicilienne et Burlesque (flûte et piano)  

CHAMINADE Concertino (flûte et piano)  

COEDES-MONGIN Suite (flûte et piano)  

DUVERNOY Concertino (flûte et piano)  

DOPPLER (Fr.) Fantaisie pastorale hongroise

                           Airs valaques

DEBUSSY Sonate (flûte, alto et harpe) 

DRESDEN (Sem) Sonate (flûte et harpe) 

ENESCO Cantabile et Presto (flûte et piano)  

FAURÉ (G.) Fantaisie (flûte et piano)  

FERROUD (P. O.) Trois Pièces (flûte seule) 

GAUBERT (Ph.)  Nocturne et Allegro scherzando (flûte et piano)  

                              1ère Sonate (flûte et piano)  

                              2ème Sonate (flûte et piano)

                              Fantaisie (flûte et piano)

                             Romance, Madrigal etc. (flûte et piano)

GERMAN (Ed.) Suite (flûte et piano)                              

GODARD (Benjamin) Suite (flûte et piano)  

GALLON (Noël) Suite (flûte et piano)  

HAHN (Reynaldo) Variations sur un thème de Mozart (flûte et piano)  

HALPHEN (F.) Sicilienne (flûte et piano)  

                           Noël (flûte et piano)  

HENSCHEL (G.) Thème et variations (flûte et piano)  

HÜE (Georges) Nocturne (flûte et orchestre ou piano)

                          Gigue (flûte et piano)  

                          Fantaisie (flûte et piano)  

INGHELBRECHT (D.) Esquisses antiques (flûte et piano ou harpe)

IBERT (Jacques) Jeux (flûte et piano).  

JONGEN (Joseph) Sonate (flûte et piano)  

KEMPLER Capriccio (flûte et piano)  

KELLY (F. S.) Serenade (flûte et orchestre ou piano)  

KOECHLIN (Ch.) Sonate (deux flûtes) 

                               Sonate (flûte et piano)  

LEROUX (X.) Deux Romances (flûte et piano)  

LEFEBVRE (Ch.) Deux Pièces (flûte et piano)  

MEL-BONIS Sonate (flûte et piano)  

MOREAU (Léon) Dans la Forêt enchantée (flûte et piano)  

MILHAUD (Darius) Sonatine (flûte et piano)  

MOUQUET (Jules) La Flûte de Pan (sonate) (flûte et piano)  

                                 Églogue (flûte et piano)  

PERILHOU Ballade (flûte et piano)  

PILLOIS (J.) Bucoliques (flûte et piano)  

REINECKE (Carl) Sonate Undine (flûte et piano)   

RABAUD Andante et Scherzo (flûte, violon, piano)

ROUSSEL (Albert) Joueurs de Flûte (flûte et piano)  

SAINT-SAENS Romance en Ré bémol (flûte et piano)  

                          Airs de Ballet d’Ascanio (flûte et piano)  

SCHMITT (Florent) Scherzo pastoral (flûte et piano)  

SCOTT (Cyril) Scotch Pastoral (flûte et piano)  

TAFFANEL (P.) Andante pastoral et Scherzo (flûte et piano)  

TOVEY (D. F.) Variations sur un thème de Gluck (flûte et quatuor à cordes)

WIDOR (Ch-M.) Suite 

WOOLLETT (H.) Sonate (flûte et piano)  

PAUL TAFFANEL 

 

                       Paul TAFFANEL, que l’on peut considérer comme le plus grand flûtiste de son temps, et dont l’influence sur l’école de flûte durant toute la fin du XIXème siècle a été considérable et se fait encore sentir aujourd’hui, est né à Bordeaux en 1844. Son père était un assez bon musicien et jouait lui-même la flûte et le basson. En 1860, le jeune TAFFANEL entrait dans la classe de DORUS, qui venait de prendre cette année-là la succession de TULOU. Dès la première année, TAFFANEL obtenait un brillant premier prix et entrait presque immédiatement à l’orchestre de l’Opéra-Comique, qu’il devait quitter bientôt pour celui de l’Opéra. En 1864, il devenait soliste de ce théâtre, et ne devait quitter son poste, vingt-neuf ans plus tard, que pour assumer les fonctions de premier chef d’orchestre. Malgré cette lourde charge, le jeune musicien n’avait pas abandonné ses études, et il obtenait, en 1862 et 1865, les premiers prix d’harmonie, de contrepoint et de fugue. 

     Entre-temps, il avait fait partie de l’orchestre des Concerts Pasdeloup, qu’il devait quitter bientôt pour la Société des Concerts du Conservatoire, dont il devint bientôt le soliste.

    En 1872, TAFFANEL avait fondé avec ARMENGAUD et JACQUARD une Société de musique de chambre pour double quintette à cordes et à vent. Mais, voulant donner une impulsion plus forte à la musique pour instruments à vent seuls, il fonda, en 1879, cette célèbre Société de Musique de Chambre pour instruments à vent qui a joui, durant vingt-quatre ans, d’une célébrité européenne. Cette société a été dissoute en 1893, lorsque TAFFANEL, abandonnant son activité de virtuose, prit la direction simultanée de l’orchestre de la Société des Concerts et de celui de l’Opéra. Par la suite, quelques artistes reprirent le même titre et se réclamèrent de son patronage pour fonder une Société similaire, mais il convient de noter ici que la longue interruption entre la dissolution de la première et la fondation de la seconde, à quoi s’ajoute le renouvellement presque total du personnel exécutant, nous permet de considérer la véritable Société TAFFANEL comme ayant terminé son existence en 1893.

     Cette même année 1893, le professeur ALTÈS ayant été atteint par la limite d’âge, TAFFANEL prenait la direction de la classe de flûte au Conservatoire. Le hasard lui avait fait attendre trop longtemps la prise de possession d’un poste qu’il devait occuper brillamment jusqu’à sa mort. Il donna d’emblée à sa classe une impulsion remarquable, et l’on peut dire que son arrivée dans cette maison a conféré à l’enseignement de la flûte un éclat inouï. Il a tenu avec éclat le pupitre de premier chef d’orchestre à l’Opéra, de 1893 à 1906, et celui de premier chef de la société des Concerts de 1893 à 1901.  

     Malgré les nombreuses obligations qui le retenaient à Paris, TAFFANEL a beaucoup voyagé, tant comme directeur de sa Société d’Instruments à vent que comme soliste virtuose. A cet égard, il a joui d’un prestige ignoré avant lui. Les virtuoses flûtistes de la première moitié du XIXème siècle avaient, il est vrai, connu de grands succès. Il serait puéril de nier, par exemple, l’éclat de la renommée d’un DROUET, pour ne citer que celui-là ; mais c’est à TAFFANEL que revient l’honneur d’avoir assaini le répertoire des virtuoses flûtistes, et d’avoir, non pas remis mais MIS en honneur d’admirables chefs-d’œuvre, que l’incroyable manque de goût de ses prédécesseurs avait laissés dans la nuit. Les sonates de BACH, les concertos de MOZART, et, en général, tout ce qui constitue la richesse du répertoire de la flûte, étaient à peu près inconnus avant que TAFFANEL les mît en lumière. L’immense prestige qui s’attachait à son nom lui permit de rompre enfin la sorte d’interdit qui pesait sur la flûte en tant qu’instrument soliste. TAFFANEL s’est fait entendre comme soliste dans toutes les capitales de l’Europe, et à l’heure où nous écrivons ces lignes, c’est à dire à trente-deux ans de distance, son souvenir n’est pas effacé.

     Les multiples occupations que lui donnait sa carrière d’exécutant n’ont pas permis à TAFFANEL d’écrire autant qu’il eût sans doute désiré le faire. Il a laissé d’innombrables transcriptions qui ont rendu à la cause de la vraie musique des services insoupçonnés, car le répertoire des amateurs était jusque là d’une indigence regrettable. On connait de lui quelques fantaisies brillantes sur des airs d’opéra datant de sa jeunesse, auxquels il n’attachait pas d’importance. On lui doit, en outre, un excellent Quintette pour instruments à vent ; une Sicilienne-Étude, et un morceau écrit pour les concours publics du Conservatoire : Andante pastoral et Allegretto scherzando. Ce bagage est mince en regard de ce qu’on pouvait espérer d’un tel musicien. Peut-être un scrupule exagéré a-t-il retenu TAFFANEL, que la fréquentation quotidienne des chefs-d’œuvre rendait trop difficile pour ses propres productions. 

     Ce qu’on lui doit, c’est d’avoir provoqué l’éclosion d’un nombre considérable d’œuvres pour la flûte et pour les instruments à vent. On peut dire sans exagération qu’à de rares exceptions près, toute la musique de quelque valeur, écrite entre 1870 et 1895 pour l’une ou l’autre de ces combinaisons, a été composée à son intention. Les dédicaces en font foi. Ces compositions portent, pour la plupart, comme un reflet de son style, et c’est fort heureux, car ses prédécesseurs immédiats, si l’on en excepte son maître DORUS, avaient donné à la flûte un caractère bien fait pour éloigner de cet instrument les véritables musiciens. L’art de TAFFANEL était essentiellement élégant, souple et sensible, et sa prodigieuse virtuosité se faisait aussi peu apparente que possible. Il détestait l’emphase, professait le respect absolu des textes, et la souplesse fluide de son jeu cachait une extrême rigueur dans l’observance de la mesure et des valeurs. Il avait consacré un temps considérable à l’étude des problèmes de l’acoustique et de l’émission du son. Sa sonorité pleine de charme était cependant très ample. Les quelques conseils de technique qui forment la dernière partie de cet article ne sont pas seulement le résumé de son enseignement. Ils visent à diriger l’étudiant flûtiste dans la voie exacte qu’avait suivie Paul TAFFANEL pour son propre compte. 

     Il est mort à la suite d’une longue et cruelle maladie, en décembre 1909. Il était officier de la Légion d’honneur, titulaire de plusieurs ordres étrangers et membre de l’Académie de Musique de Suède. Cette notice ne serait pas complète si nous ne disions qu’il était le plus droit et le plus bienveillant des hommes, et qu’il a laissé chez ses collègues et surtout chez ses élèves le souvenir le plus profond. 

 

Source : Albert LAVIGNAC et Lionel DE LA LAURENCIE  Encyclopédie de la Musique et Dictionnaire du conservatoire (Ed: Librairie Delagrave)  https://s9.imslp.org/files/imglnks/usimg/2/2d/IMSLP468181-PMLP760265-encyclopdiedel08lavi.pdf

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