Mort de Louis Fleury – Article de Claude-Louis Perret

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MORT  DE  LOUIS  FLEURY

 

Au conservatoire, Louis Fleury, avait reçu l’enseignement de Taffanel, musicien de haute valeur, virtuose incomparable, esprit cultivé ; l’influence d’un tel maître sur ses élèves était grande. Elle devait affecter profondément l’intelligence vive du jeune homme avide d’apprendre qu’était alors Fleury. Une page de souvenirs, publié ici même, témoignait récemment de la reconnaissance qu’après vingt-cinq ans l’élève conservât à la mémoire de son maitre. 

De cet enseignement, Fleury reçût autre chose que son talent de virtuose. D’abord la connaissance d’un ensemble d’oeuvres classiques écrites pour la flûte et fort injustement oubliées [1] ; puis l’idée, peu répandue à cette époque, que la flûte, — et par extension les autres « petits vents »— pouvaient être autre chose que d’utiles instruments d’orchestre, mais devaient, isolément ou en groupe, fournir des moyens d’expression nouveaux aux jeunes compositeurs. 

Déjà son aîné, Georges Barrère, sous l’influence des mêmes idées, avait fondé la « Société Moderne d’Instruments à Vent ». Fleury devint son collaborateur, puis son successeur tout désigné, lorsque Barrère fut appelé à New-York. 

Les deux jeunes artistes ne faisaient en somme que rénover une tradition à peu près abandonnée par les musiciens post-beethovéniens, lequel ne concevaient la musique de chambre que pour les archets, avec ou sans piano. Les siècles précédents étaient autrement éclectiques. 

On n’ignore pas la place que tiennent les « Petits Vents » (pour leur donner leur nom familier) dans le mouvement musical moderne. Il suffit de rappeler que, cet hiver, à l’occasion de son trentième anniversaire, cette Société exécutait un programme exclusivement composé de quelques « premières auditions » données par elle et que ce programme, peu banal, allait d’André Caplet (un Caplet de 19 ans) à Darius Milhaud, en passant par Gabriel Pierné, Reynaldo Hahn, Albert Roussel, Jacques Ibert, Louis Aubert. 

Ce qu’il convient de dire bien haut c’est l’effort continu, l’ingéniosité, la diplomatie que déployait Fleury pour parvenir, à travers les difficultés de la vie présente, à maintenir et à développer l’organisation dont il avait la responsabilité. Il s’en jugeait, certes récompensé par l’amitié de ses collaborateurs qui avaient en lui la plus entière confiance, et par les succès artistiques que le groupe obtenait tant en France qu’à l’étranger. Mais les réussites de cet ordre, qui restent d’ailleurs sans compensation matérielle appréciable, ne se paient-elles pas d’un peu des forces vives de celui qui les tente. 

Autant par prédisposition naturelle que par sa culture, Louis Fleury, virtuose de la flûte, se sentait porté vers l’art instrumental du XVIIIème siècle. Bach, Handel, Mozart avaient en lui un interprète parfait. Doué d’une sonorité délicieuse, il possédait au plus haut point les qualités d’esprit, d’élégance, de finesse que requièrent ces musiques délicates, dont la période d’exubérance romantique avait fait perdre le goût et parfois même le souvenir. 

Il eut le mérite de trouver et de rééditer des oeuvres de virtuoses compositeurs, Blavet, Naudot et d’autres petits-maitres, injustement oubliés bien qu’ils eussent connu, au cours de leur carrière, une célébrité européenne. Ayant le goût et le sens de ce genre de recherches, bien avant qu’elles fussent à la mode, on peut dire qu’il n’ignorait rien de ce qui concernait son instrument, oeuvres, virtuoses ou facteurs, d’aujourd’hui et d’autrefois. De nombreuses études, dispersées un peu partout, en Angleterre, en Amérique ou chez nous, témoignent de cette érudition. On s’en rendra mieux compte lorsque paraitra l’Encyclopédie musicale de Lavignac, où l’article « flûte » lui avait été judicieusement confié. 

         Nous n’apprendrons rien aux lecteurs du Monde Musical en disant que cet artiste, cet érudit, savait écrire [2]. 

Grand voyageur de par les nécessités de sa carrière, — il avait en tant que virtuose la « classe internationale », comme disent les gens du sport, — Louis Fleury avait parcouru l’Europe et l’Amérique du Nord ; il connaissait à fond l’Angleterre et l’Italie qu’il aimait également quoique pour des raisons différentes. Il ne voyageait certes pas pour collectionner des sensations ou pour assouvir les exigences d’une âme inquiète. S’il fallait l’apparenter à quelque célèbre coureur de grandes routes, ce serait plutôt au président de Brosses qu’à Pierre Loti. 

D’une curiosité infatigable, sachant bien voir, il s’intéressait à tout, le spectacle de la rue comme les richesse des musées, la beauté des monuments et de sites, les bibliothèques, rien ne le laissait indifférent. Il voyageait comme l’abeille butine, rapportant de chacune de ses tournées un miel précieux de souvenirs, d’anecdotes, de remarques piquantes et judicieuses sur les gens et les choses qu’il venait de rencontrer.

 * * *

Virtuose, directeur de groupe instrument, musicographe, chroniqueur, conférencier, Louis Fleury avait conquis par son labeur et son intelligence une place bien à lui dans les milieux musicaux. Son activité se déployait, au cours de ces dernières années, dans les manifestations musicales les plus diverses et parfois les plus audacieuses. Sous son impulsion, les « Petits Vents » firent connaître hors de France les essais de nos musiciens les plus modernes. Car, ce classique, ce pré-mozartien, ce Français du XVIIIème siècle était en même temps plein de sympathie pour les expériences les plus hardies de la musique, ce qui semblerait un paradoxe, si cela ne s’expliquait par son amour de la vie, du mouvement, de la jeunesse.  

Il disparaît en pleine force, n’ayant pas encore atteint la cinquantaine, mais ayant bien travaillé, et laissant dans le monde de la musique un souvenir durable. Honnête homme selon le sens classique du mot, et homme profondément attaché à ses devoirs, ceux qui ont pu depuis longtemps connaître la sûreté de son amitié garderont pieusement sa mémoire. 

 

        Claude-Louis PERRET [3]  

        Directeur de la Revue Le Monde Musical

Juin 1926

 [1] Il est à peine croyable qu’avant le professorat de Taffanel, Bach et Mozart, pour ne citer que les plus grands, restaient ignorés des élèves flûtistes. L’enseignement se confinait dans l’étude des « airs variés » et autres « fantaisies » de pure virtuosité, dont la mode a fort heureusement disparu.(sic)

[2] Ses débuts dans le journalisme remontent à 1904, dans le Courrier de L’Orchestre, Journal du Syndicat professionnel. L. Fleury fut en effet attiré par le mouvement syndical naissant, à l’époque héroïque où il y avait plus de coups à recevoir que d’avantages à attendre. Son bon sens, sa parole facile, sa plume alerte lui donnèrent tout de suite de l’autorité sur les assemblées et congrès auxquels il participait.(sic)

[3] 1886-1945 résistant pendant la seconde guerre mondiale et déporté à Dachau où il décéda.

Source  :   Le Monde Musical  37° année, N° 6 – 30 Juin 1926  (Collection privée L. Renon) 

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